Depuis que Zoé et moi échangeons nos écrits, j'ai la bonne impression d'avoir brisé ma solitude. Elle est, avec son écriture ronde, une petite boule de tendresse et d'originalité versée dans le café noir de ma mélancolie. Quand je vais à la boulangerie, c'est désormais un réconfort de la voir exister au milieu des autres. Plus personne ne fait attention à moi. On ne me regarde plus de travers. Je suis enfin un vrai client, un habitué. Notre minute est devenue quart d'heure. Elle joue, rien que pour moi, son numéro parfait de boulangère.
Henry vit retiré dans une espèce de fort isolé au bout d'une piste de dix kilomètres. Tous les deux jours, le vieil homme se rend au village voisin pour acheter son pain. C'est à la boulangerie qu'il rencontre Zoé, la jeune vendeuse de dix-huit ans. Au fil du temps, une curiosité réciproque et une complicité muette s'installent entre eux. Chacun est intrigué par l'autre, au point qu'un dialogue épistolaire et presque clandestin s'instaure : Zoé glisse des petits billets dans les miches de pain qu'achète Henry auxquels il répond avec une constance sans faille.
Depuis deux ans, ou un peu moins, ou une éternité, je marche, je prends des trains, des bus, je fais du stop, je m'agrippe à la route comme un scarabée vert ayant replié ses élytres. Je croise les humains, parle à peine avec eux, je ne suis pas très liant. Il m'arrive parfois de rester un ou deux jours en leur compagnie, mais, c'est plus fort que moi, je repars assez vite. C'est curieux, je n'ai aucune mémoire. Ou plutôt j'ai des trous, grands et veloutés comme des ailes de phalènes. La route est une gomme noire. J'avance et tout s'efface der- rière moi.
Après un accident de voiture, Iwill (21 ans) a rompu toutes attaches fa- miliales et amicales et va désormais au hasard. Lorsqu'il arrive à Luzinbapar, il tombe sur Sarah et Laston. Le couple vit comme coupé du monde entouré d'une meute de chiens féroces. Laston creuse des tunnels sans fin dans une ancienne mine de cuivre et Sarah confie à Iwill un cahier sur lequel il devra consigner sa vie, instaurant entre eux un pacte tacite : il s'en ira une fois le ca- hier rempli. Iwill profite de leur hospitalité pour se reposer. Le comporte- ment de ses hôtes l'inquiète et le fascine. Entre ces trois-là une étrange relation s'installe. Iwill est-il vraiment libre de ses mouvements, les chiens le laisse- raient-ils partir sans broncher s'il le décidait ? Rien n'est moins sûr.