Dans Les Nourritures terrestres (1897), contre le puritanisme chrétien et le repliement nationaliste, le jeune Gide lançait un cri d'amour envers la vie sous toutes ses formes joyeuses, joies des sens exaltés par l'attente du bonheur, joies de l'esprit ouvert à toutes les cultures. Il lui donna une forme inédite, entre prose et poésie, entre traité et récit. Son ouvrage ne ressemblait à rien de connu.
Les Nouvelles Nourritures (1935), à l'inverse, sont l'aboutissement d'une réflexion altruiste, sorte de nouvel évangile pour le monde de l'après-guerre de 14-18, où l'enthousiasme lyrique cohabite avec un engagement rationaliste et social.
Si le premier texte condense cinq années d'expériences nomades, le second retrace vingt ans d'évolution intellectuelle, centrées sur cette difficile question : comment faire pour que la joie conquise jadis en solitaire puisse être un jour partagée par tous ?
Le Journal que Gide donna à la Pléiade en 1939 était une oeuvre, composée par lui et qui laissait dans l'ombre près d'un tiers du Journal intégral.La présente édition reproduit cette oeuvre et y ajoute, à leur date, les passages écartés. Ces inédits - aisément repérables, puisqu'imprimés sous une forme distincte - ne sont pas seulement «l'Enfer» du Journal; certes, ils contiennent de nombreuses pages impudiques ou scabreuses, mais ils abordent tous les sujets, de la littérature à la famille en passant par la morale et la politique. Quant aux textes déjà connus, ils ont été révisés sur les manuscrits.Le second tome propose un texte enrichi de nombreux passages qui avaient déjà paru dans des volumes ou des revues, mais qui étaient absents de l'ancienne édition de la Pléiade. Il contient aussi des inédits, publiés ici dans une disposition permettant de les identifier comme tels.
André Gide a rencontré Oscar Wilde une première fois en 1891, dans un salon parisien. Il avait alors 22 ans, l'écrivain irlandais, 37 ans. Une rencontre déterminante, suivie d'autres, notamment à Florence et au Maghreb, pour l'auteur de La Porte étroite. Après sa mort en 1900, Gide lui rendra un émouvant double hommage, à travers deux textes publiés en revue (en 1903 et en 1905) : « In Memoriam. Hommage à Oscar Wilde », et « Le De Profundis d'Oscar Wilde ». Dans ce livre intimiste, Gide revient sur leurs rencontres, à Paris, à Blida en Algérie, en 1895, et à Berneval, près de Dieppe (en 1897, au moment où Oscar Wilde sort de prison, et où il s'est réfugié, sous le nom de Sébastien Melmoth). Ce sont là, selon le mot de Gide, des « pages d'affection, d'admiration et de respectueuse pitié ».
Rares sont les écrivains qui, parallèlement au roman qu'ils écrivent, tiennent un journal de leur travail et le publient de leur vivant. C'est le cas d'André Gide avec son célèbre roman de l'adolescence perverse, Les faux-monnayeurs.
Le Journal des faux-monnayeurs est le long dialogue de Gide avec ses personnages au fur et à mesure de leur création. C'est ainsi qu'il se familiarise avec l'atmosphère trouble dans laquelle évoluent ses héros : Édouard qui tient son journal, Olivier Molinier, Bernard Profitendieu... Tout au long, Gide apprend à vivre avec eux et il dépasse parfois le cadre du roman proprement dit. Ce Journal, qui est aussi son «cahier d'études», permet de mieux sentir le mécanisme créateur, l'intelligence critique, l'ironie du grand romancier.
Voyage au Congo, et Le Retour du Tchad qui lui fait suite, se présente comme un « carnet de route » du 21 juillet 1925 au 14 mai 1926. Outre l'enchantement procuré par ce voyage avec Marc Allégret - Gide herborise, naturalise, papillonne -, l'écrivain dépeint la misère des villages, les maladies, dénonce le sort des prisonniers ou des enfants, les exactions de certains colons blancs et l'emprise des grandes compagnies coloniales. En dépit de la modération de son ton et du sérieux de ses observations, le texte déclenche de violentes polémiques dans la presse et à la Chambre des députés. Gide répond fermement et se revendique en tant que « voyageur libre ».
D'une façon prophétique, il dépasse le cadre du témoignage personnel pour célébrer une « science naissante et bourgeonnante:l'ethnologie ». Il en fut l'un des précurseurs. Libre, d'une honnêteté impeccable, moderne.Dindiki, brève évocation d'un petit animal offert à Gide durant son périple, est un texte peu connu, d'une grande sensibilité.
Livre des grandes désillusions, "Retour de l'URSS" est aussi la marque du courage politique et de l'engagement intellectuel. Invité en grande pompe en 1936 à Moscou, André Gide, jusque-là "compagnon de route" enthousiaste du communisme, se rend compte sur place, alors qu'il cherche à parcourir librement le pays, que la réalité soviétique ne correspond pas aux croyances occidentales. Il publie à son retour ce récit dévastateur qui rencontre aussitôt un énorme succès dans l'opinion française et internationale, et lui vaut la haine du PCF. Gide répondra en 1937 aux critiques et injures dans un second texte, "Retouches à mon Retour de l'URSS", que l'on trouvera également ici.
Cette pièce est tirée de la « sotie » du même auteur, publiée en 1914 aux Éditions de la N.R.F.
En 1933, la Compagnie « Art et Travail » présenta au Studio des Champs-Élysées une première adaptation. Mais André Gide, tout en rendant hommage au zèle et à la bonne volonté de l'adaptatrice, lui signifia aussitôt qu'il ne pouvait approuver sa version et que seule la crainte de lui causer un préjudice matériel le retenait d'interdire les représentations.
Par la suite, il se refusa catégoriquement à autoriser des représentations de cette version à l'étranger, et en particulier en URSS. La même année, les Belletriens de Lausanne ayant exprimé leur vif désir de porter à la scène Les caves du Vatican, à Lausanne, Vevey, Montreux, Genève, Berne, etc., André Gide tint à s'occuper lui-même de l'adaptation qu'ils donnèrent.
C'est en mai 1950 que la Comédie-Française vint proposer à André Gide de créer une nouvelle adaptation de sa sotie. Il se mit au travail aussitôt, écrivit plusieurs scènes nouvelles et donna, en particulier, plus d'importance au rôle de Geneviève de Baraglioul. Mis en scène par Jean Meyer, cette nouvelle adaptation, que nous publions, fut présentée pour la première fois le 13 décembre 1950, à la salle Richelieu. Dans le programme, on pouvait lire cette phrase : « La pièce est tout naturellement sortie du livre. Quant à comprendre comment le livre est sorti de moi... ? »
Lors de son périple en U.R.S.S., du 16 juin au 24 août 1936, André Gide observe, interroge et relate. Comme celle de ses compagnons, sa désillusion est presque immédiate. Il dénonce le culte de la personnalité dont s'entoure Staline, la répression féroce qui frappe tous les « dissidents », notamment les homosexuels. Il voit la misère, les privations qu'endure ce peuple qu'il admire. Le tout est exprimé avec une soigneuse modération, sans nier les réussites objectives du régime. En dépit de ces précautions, Retour de l'U.R.S.S. va, dès sa parution, fin 1936, déchaîner un torrent de réactions, scandalisées et haineuses. Il y répondra, de façon objective et documentée, dans Retouches à mon « Retour de l'U.R.S.S. » (juin 1937), qui enfoncera le clou, et marquera sa rupture définitive avec le communisme.
Relire la « littérature engagée » du prix Nobel 1947 apparaît aujourd'hui - quand d'aucuns comparent l'époque actuelle et sa montée des dictatures et des fanatismes, à une nouvelle avant-guerre - comme légitime et nécessaire.
Fasciné par la machine judiciaire comme par les aperçus des replis de l'âme humaine que lui apporte son expérience de juré, l'écrivain André Gide assiste pendant plusieurs semaines à divers procès : affaires de moeurs, infanticide, vols...
Dans ce texte dense et grave, Gide s'interroge sur la justice et son fonctionnement, mais surtout insiste sur la fragile barrière qui sépare les criminels des honnêtes gens.
Pendant près d'un an, de juillet 1926 à mai 1927, André Gide parcourut en compagnie de Marc Allégret l'Afrique-Équatoriale française, depuis l'embouchure du Congo jusqu'au lac Tchad. Il en ramena ce fameux journal de voyage dans lequel l'auteur des "Faux- monnayeurs" dénonçait la violence de la puissance coloniale à l'égard des Noirs, en particulier dans le chantier tristement célèbre de la ligne « Congo-Océan » qui fit 17 000 morts parmi les ouvriers. La parution de "Voyage au Congo" provoqua de très vives réactions de la droite française ; quelques semaines plus tard, le grand reporter Albert Londres partait enquêter dans les pas de Gide...
Le fil directeur des Faux-Monnayeurs (1925), le premier roman d'André Gide, est la relation amoureuse entre le romancier Édouard et son neveu Olivier Molinier. Mais une série d'événements va contrecarrer leur désir de rapprochement : l'entrée en scène de l'ami d'Olivier, Bernard Profitendieu, la réapparition de Laura, ancienne amoureuse d'Édouard, qui lui demande son aide alors qu'elle vient d'être abandonnée, enceinte, par Vincent, les manigances de Passavant, qui a jeté son dévolu sur Olivier, les manoeuvres de Lilian, amie de Passavant, pour séduire Vincent...
À travers la multitude de ses personnages, c'est la question de l'identité de l'individu que Gide se pose, de sa capacité à être sincère, envers luimême comme envers autrui, et de comprendre la portée de ses actes.
Gide publie Paludes en 1895, alors qu'il est un jeune auteur de vingt-cinq ans. Il y place les écrivains qu'il fréquente à cette époque (Henri de Régnier, Pierre Louÿs), les Mardis de Mallarmé, auxquels il est assidu, et la femme dont il est amoureux depuis l'adolescence, sa cousine Madeleine Rondeaux, qu'il épousera quelques mois plus tard. L'écriture de ce bref ouvrage est aussi contemporaine de ses premières expériences homosexuelles ; les questionnements sur le conformisme et sur l'inévitable stérilité de sa relation à sa future épouse, le rêve inavouable d'une vie « différente » - c'est précisément en 1895 qu'Oscar Wilde, ami de Gide, est emprisonné pour « outrage aux moeurs » - donnent à la vivacité et à l'ironie de Paludes une profondeur et une gravité qu'on n'y soupçonnerait pas dès l'abord.
«La Poésie est comparable à ce génie des Nuits Arabes qui, traqué, prend tour à tour les apparences les plus diverses afin d'éluder la prise, tantôt flamme et tantôt murmure ; tantôt poisson, tantôt oiseau ; et qui se réfugie enfin dans l'insaisissable grain de grenade que voudrait picorer le coq.
La Poésie est comparable également à cet exemplaire morceau de cire des philosophes qui consiste on ne sait plus en quoi, du moment qu'il cède l'un après l'autre chacun de ses attributs, forme, dureté, couleur, parfum, qui le rendaient méconnaissable à nos sens. Ainsi voyons-nous aujourd'hui certains poètes, et des meilleurs, refuser à leurs poèmes, rime et mesure et césure (tout le "sine qua non" des vers, eût-on cru), les rejeter comme des attributs postiches sur quoi la Muse prenait appui ; et de même : émotion et pensée, de sorte que plus rien n'y subsiste, semble-t-il, que précisément cette chose indéfinissable et cherchée : la Poésie, grain de grenade où se resserre le génie. Et que tout le reste, auprès, paraisse impur ; tâtonnements pour en arriver là. C'est de ces tâtonnements toutefois qu'est faite l'histoire de notre littérature lyrique.» André Gide.
Les Mémoires d'André Gide, qui lèvent le voile sur le parcours de l'homme et le parcours de l'auteur.
Dans Si le grain ne meurt, il raconte sans fard ses vingt-six premières années, de sa naissance à ses fiançailles. Il cache un peu les personnages derrière des noms d'emprunt, mais si peu. Surtout il révèle son enfance d'enfant pas très sage, pas très décent, amoureux très tôt de sa cousine Madeleine. Un récit de rédemption La deuxième partie est principalement consacrée à la révélation à lui-même et aux autres de son homosexualité, concrétisée pendant son voyage en Algérie de 1893-1894, incarnée dans le corps des jeunes prostitués dont il profita.
Publié en 1926, ce récit a choqué ses contemporains. Il raconte l'évolution de l'artiste, oppressé par l'éducation puritaine et sévère de sa mère, qui laisse la place à un jeune homme épanoui et créatif.
André Gide a écrit, en soixante ans, près de quatorze mille lettres adressées à plus de deux mille correspondants. Besoin de se dire, sans doute, mais plus encore de vivre en connivence. Peu avant sa mort, il a déclaré : « Je faisais métier de mon amitié. C'est un métier fatigant qui requiert des soins assidus. Je m'y usais. J'écrivais peu à chacun, mais j'écrivais à beaucoup. » Allant de Pierre Louÿs à Camus, cette correspondance est ainsi le reflet idéal de plus de soixante ans d'histoire littéraire. Elle est aussi le lieu où Gide s'informe et se forme ; sa pratique épistolaire éclaire le système d'échange et de communication qu'il organise ensuite dans ses fictions. Mais surtout, par touches successives, elle dessine la figure de « l'insaisissable Protée ». Gide, par ses lettres, rassemble autour de lui la diversité de l'humaine condition, dont il s'efforce de tirer à lui le meilleur.
Voyage au Congo est un carnet de route d'un voyage qu'André Gide effectua en Afrique Équatoriale française avec le réalisateur de films et photographe Marc Allégret. L'écrivain y dépeint la misère des villages, les maladies, dénonce le sort des prisonniers ou des enfants, les exactions de certains colons blancs et l'emprise des grandes compagnies coloniales. Ce réquisitoire contre les pratiques des compagnies commerciales et de l'administration suscite une vive émotion. Le texte déclenche de violentes polémiques dans la presse et Gide y répond fermement en se revendiquant en tant que voyageur libre. Alors que la question coloniale est investie d'un jour nouveau, ce texte d'époque apportant une contribution au débat d'idées mérite d'être redécouvert.
Dans ce court texte, André Gide (1869-1951) nous entraîne dans la campagne normande de sa jeunesse, plus précisément dans la petite commune rurale de La Roque-Baignard, dans le Calvados, où la famille de sa mère possédait un vaste domaine et dont il fut le maire pendant quatre ans.
« Intérêts mesquins, rapacités, sournoiserie » : Gide nous livre un témoignage sévère, parfois féroce, sur la vie à la campagne en cette fin de 19e siècle. Un récit vif et imagé qui met en scène des personnalités bien marquées et dont la conclusion, en une savante pirouette finale, constitue une véritable surprise.
Publié hors-commerce en 1938 à vingt-et-un exemplaires seulement, Jeunesse a été édité en 1945 à Lausanne aux Éditions Ides et Calendes.
André Gide a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1947.
" Ah ! Que n'étais-je venu simplement en touriste ! ou en naturaliste ravi de découvrir là-bas quantité de plantes nouvelles, de reconnaître sur les hauts plateaux la "scabieuse du Caucase" de mon jardin... Mais ce n'est point là ce que je suis venu chercher en U.R.S.S. Ce qui m'y importe c'est l'homme, les hommes, et ce qu'on en peut faire, et ce qu'on en a fait. La forêt qui m'y attire, affreus-ment touffue et où je me perds, c'est celle des questions sociales. En U.R.S.S. elles vous sollicitent, et vous pressent, et vous oppressent de toutes parts." Lors de son voyage en U.R.S.S., André Gide découvre, derrière le faux enthousiasme collectif, une entreprise constante de désindividualisation. Retour de l'U.R.S.S., publié en 1936, puis l'année suivante les Retouches firent sensation. Les deux livres restent un témoignage capital.
Est-ce dû au classicisme de sa langue, qui aurait fait écran? Si l'on parle toujours, avec une conviction variable, du «contemporain capital» (l'expression date de 1924...), on évoque rarement la hardiesse d'un Gide qui sut placer son oeuvre à l'avant-garde de l'exploration formelle et qui, bien avant que le terme soit inventé, l'inscrivit presque tout entière dans le registre de l'«autofiction». Ces deux volumes regroupent tous les textes de «fiction» de Gide, qu'ils soient narratifs ou dramatiques. En dépit de leur variété générique, leur unité est profonde. Très tôt, Gide décida de se construire, c'est-à-dire de se concevoir comme un puzzle où sa diversité pourrait exposer toutes ses facettes et néanmoins, à un niveau supérieur, affirmer une cohérence secrète. Habiter par la vision de ses livres futurs, il se dit persuadé qu'on ne pourra le comprendre qu'une fois que tous auront paru. Mais il n'a rien fait pour faciliter cette compréhension. En refusant ces repères que sont les genres littéraires convenus, en multipliant les textes atypiques, en modifiant selon sa fantaisie les étiquettes apposées sur ses livres et en ne perdant pas une occasion de discréditer l'illusion réaliste, il s'entend comme personne à brouiller les pistes. Peut-être fallait-il que le temps passe pour que le «contemporain» entre dans l'intemporel et pour que soit reconnue l'une des qualités par lesquelles cette oeuvre trouve son unité : l'audace.
"Le Journal d'André Gide peut être considéré comme la pièce maîtresse de l'écrivain." Peter Schnyder.
Pour fêter son anniversaire en 2012, Folio publie chaque mois de l'année une édition spéciale à tirage limité.
Peter Schnyder présente la première anthologie du Journal de Gide, soit plus de 3 000 pages en Pléiade réduites à quelques 400 en Folio.
« Dans le Journal de Gide, le lecteur trouvera son éthique - la genèse et la vie de ses livres - ses lectures - les fondements d'une critique de son oeuvre - des silences - des traits exquis d'esprit ou de bonté - des menus aveux qui font de lui l'homme par excellence, comme le fut Montaigne. » Roland Barthes.
Corydon, dont l'édition originale date de 1911, se présente d'abord comme un essai de clarification Tfranc sans paraître cynique et naturel avec simplicitét sur le sujet de l'uranisme.
S'appuyant sur Montaigne et Pascal, prenant comme prétexte le livre de Léon Blum, Du mariage, Gide souligne le rôle civilisateur de la pédérastie : TLa décadence d'Athcnes commença lorsque les Grecs cesscrent de fréquenter les gymnases.t Néanmoins, il se défend de prononcer son apologie : se laisse tenter qui le veut bien.
Aussi, dans ces pages qui ne visent pas ´r l'audace mais ´r l'honnete examen d'un état de fait qui dure depuis la plus haute antiquité, André Gide aura-t-il combattu pour que l'homosexualité ne fasse pas de l'homme un Tcontrebandiert de la cité, réprouvé aux yeux du monde comme un rebut de la morale. Et par-dessus tout, transperce une joie de vivre et d'assumer son individualité telle qu'elle est. ´R l'image de ces quatre dialogues avec Corydon, le médecin des âmes, Gide aura enfin démontré la prééminence des rapports sans équivoque entre les êtres.
« Ceux qui n'ont connu Wilde que dans les derniers temps de sa vie, imaginent mal, d'après l'être affaibli, défait, que nous avait rendu la prison, l'être prodigieux qu'il fut d'abord. C'est en 1891 que je le rencontrai pour la première fois. Son geste, son regard triomphaient. Son succès était si certain qu'il semblait qu'il précédât Wilde et que lui n'eût plus qu'à avancer. Ses livres étonnaient, charmaient. Ses pièces allaient faire courir Londres. Il était riche ; il était grand ; il était beau ; gorgé de bonheurs et d'honneurs. Certains le comparaient à un Bacchus antique ; d'autres à quelque empereur romain ; d'autres à Apollon lui-même - et le fait est qu'il rayonnait. » Dans son portrait souvenir d'Oscar Wilde, André Gide ranime la figure et l'être de l'écrivain-esthète qui fascina le monde avant d'en être déchu, après son procès pour « immoralité », et ses deux ans de travaux forcés dans la geôle de Reading. Mais l'auteur de l'immortel Portrait de Dorian Gray revit aussi par Gide dans son récit Si le grain ne meurt et dans son Journal en nous donnant à voir un autre Wilde entre légende et réalité. L'auteur : André Gide (1869-1951). Depuis Paludes, en 1897, jusqu'à son monumental Journal, en 1939, en passant par Les Faux monnayeurs, L'Immoraliste, ou Corydon, l'écrivain scandaleux et scrutateur qui marqua la vie littéraire française pendant plus d'un demi-siècle reste toujours un « contemporain capital ».
Le 22 mai 1901, le procureur général de Poitiers apprend par une lettre anonyme que Mlle Mélanie Bastian, cinquante-deux ans, est enfermée depuis vingt-cinq ans chez sa mère, veuve de l'ancien doyen de la faculté des lettres, dans une chambre sordide, parmi les ordures. Comment cette affaire, où la culpabilité de Mme Bastian et de son fils semble évidente, put-elle aboutir à l'acquittement des inculpés ?
André Gide démonte magistralement le dossier de cette affaire devenue légendaire. Et il conclut : 'Ne jugez pas.'
Est-ce dû au classicisme de sa langue, qui aurait fait écran ? Si l'on parle toujours, avec une conviction variable, du « contemporain capital » (l'expression date de 1924...), on évoque rarement la hardiesse d'un Gide qui sut placer son oeuvre à l'avant-garde de l'exploration formelle et qui, bien avant que le terme soit inventé, l'inscrivit presque tout entière dans le registre de l'« autofiction ». Ces deux volumes regroupent tous les textes de « fiction » de Gide, qu'ils soient narratifs ou dramatiques. En dépit de leur variété générique, leur unité est profonde. Très tôt, Gide décida de se construire, c'est-à-dire de se concevoir comme un puzzle où sa diversité pourrait exposer toutes ses facettes et néanmoins, à un niveau supérieur, affirmer une cohérence secrète. Habiter par la vision de ses livres futurs, il se dit persuadé qu'on ne pourra le comprendre qu'une fois que tous auront paru. Mais il n'a rien fait pour faciliter cette compréhension. En refusant ces repères que sont les genres littéraires convenus, en multipliant les textes atypiques, en modifiant selon sa fantaisie les étiquettes apposées sur ses livres et en ne perdant pas une occasion de discréditer l'illusion réaliste, il s'entend comme personne à brouiller les pistes. Peut-être fallait-il que le temps passe pour que le « contemporain » entre dans l'intemporel et pour que soit reconnue l'une des qualités par lesquelles cette oeuvre trouve son unité : l'audace.
TOME I : André Walter. Cahiers et poésies - Le Traité du Narcisse - Le Voyage d'Urien - La Tentative amoureuse ou Le Traité du vain désir - Paludes - El Hadj ou Le Traité du faux prophète - Les Nourritures terrestres - Philoctète ou Le Traité des trois morales - Le Prométhée mal enchaîné - L'Immoraliste - Le Roi Candaule - Saül - Le Retour de l'Enfant prodigue - Bethsabé - La Porte étroite - Isabelle - Les Caves du Vatican. Appendices : Mopsus - Ajax - Le Retour - Le Récit de Michel. Avec la collaboration de Jean Claude, Alain Goulet, David H. Walker et Jean-Michel Wittmann, 1584 pages, rel. peau, 105 x 170 mm.
TOME II : La Symphonie pastorale - Corydon - Les Faux-monnayeurs - Journal des Faux-monnayeurs - L'École des femmes - Robert - oedipe - Perséphone - Les Nouvelles Nourritures - Le Treizième Arbre - Geneviève ou La confidence inachevée - Robert ou L'intérêt général - Thésée - L'Art bitraire - Les Caves du Vatican, farce. Avec la collaboration de Jean Claude, Céline Dhérin, Alain Goulet et David H. Walker, 1456 pages, rel. peau, 105 x 170 mm.