Conversations un soir de vernissage à Beaubourg ; l'exposition est consacrée à un vidéaste. Les invités se croisent, s'évaluent, superficiels, ironiques. Il y a aussi l'artiste, une amie, un admirateur, et d'autres ? figures d'un théâtre d'ombres. Devant les écrans de contrôle, quelqu'un veille. Mais il suffit d'un incident technique pour faire déraper la soirée. Le monde réel vacille, s'efface, une autre réalité apparaît.
Un jour, dans un café parisien, un homme fait signe à la jeune femme, la narratrice. Il est compositeur, la cinquantaine. Elle, vingt ans de moins, travaille dans une agence immobilière. Il l'invite à se rendre chez lui pour converser. Chaque après-midi, elle vient donc prendre le thé avec cet homme sans nom qu'elle appelle intérieurement le maître. Ils parlent de la musique, de la solitude et de l'hostilité du monde qui les entoure. Leurs rencontres cesseront brutalement, chacun des interlocuteurs ayant été rejoint par son propre silence. La jeune femme ressent cette fin comme une rupture. Deux ans plus tard, un inconnu lui apprend la mort du musicien et lui demande de rassembler ses souvenirs pour témoigner de ces réunions quotidiennes. La jeune femme accepte. Chaque soir, elle retranscrit ses conversations. Tandis que sur son ordinateur déferlent les images du tsunami, interminable flux de visages disparus, d'existences emportées, de noms effacés. L'écran capte également les forums, débats et discussions retraçant les préoccupations de l'époque...
Usant d'une subtile polyphonie de pulsions secrètes et d'images, Cécile Wajsbrot nous plonge dans l'intime enfer de la création musicale, seul art capable d'exprimer la symbolique des grandes catastrophes contemporaines...
Cécile Wajsbrot continue d'explorer l'oeuvre d'art et sa perception en traçant un sillon personnel. Après le métaphysique et bouleversant Conversations avec le maître elle nous invite à approcher l'univers de la peinture et de la sculpture dans deux huis-clos capitaux se déroulant, l'un à Berlin sur L'île des musées, l'autre au Jardin des Tuileries à Paris. Quatre personnages, simples silhouettes, se dessinent pour incarner deux couples vivant une période de conflit. Ils se séparent lors du week-end prolongé de Pâques pour fuir l'ennui, réfléchir et faire le point sur leurs vies. Durant cette période de transition, de suspens, parenthèse nécessaire pour panser leurs blessures intérieures, les voix énigmatiques des tableaux et des sculptures évoquent l'histoire des lieux chargés d'art et de tragédies. S'y mêlent alors ? dans un fondu enchaîné déroutant ? celles réelles des personnages, fragiles, en quête de sens, d'amour, de paix, d'avenir. Au milieu d'une foule indifférente et des traces de décombres, se tissent peu à peu des liens timides. Les noeuds se desserrent, le désir naît dans la confidence et les secrets. La vie se teinte lentement d'une lumière nouvelle qui conduira du silence à la parole, à la réconciliation.
Les pérégrinations sentimentales de ces héros anonymes suivent les dédales des musées, rythmées par les échos que provoquent en eux les oeuvres qu'ils fréquentent alors, comme dans un rêve. À cette trame sentimentale se sur-impriment les discours mystérieux, envoutants, de ces statues qui critiquent le monde qu'elles accompagnent et depuis longtemps, silencieusement, obstinément vigilantes. L'idée surprenante du livre est de conférer des voix à ces objets dont le statut demeure informe et particulier tant ils sont présents, familiers et parfois invisibles.
Louis Mérian a soixante -dix ans. Il a été animateur de radio pendant une trentaine d'années. Ariane Desprats, qui est née après la guerre, écoutait Louis quand elle était jeune. Elle prépare une série d'émission sur l'histoire de la radio, et vient le voir pour l'interviewer. « Que faisiez-vous pendant la guerre ? » Ariane ne peut s'empêcher de poser la question, elle qui a vécu dans l'ombre de cette guerre qu'elle n'a pas connue. Mais de nombreux membres de sa famille ont disparu dans les camps. Pèse, surtout, le silence de tout un pays. Lui est agacé. Encore cette histoire de guerre, cinquante ans après ? Il n'a rien fait, rien fait de mal, ni de bien... Soudain une faille se creuse, un souvenir remonte, d'une incroyable force, le souvenir de Sarah. Deux personnages lancés dans des quêtes parallèles - faire le deuil d'un traumatisme colle ctif pour l'une, assumer sa culpabilité pour l'autre - se font écho. La trahison : est-ce la lâcheté, le déni, le secret ? Ne serait-ce pas également se trahir soi-même, l'incapacité de vivre au présent ? Ariane pourrait faire sien les mots de Cécile Wajsbrot dans l'émouvant Beaune-la-Rolande, son unique récit autobiographique qui évoque le spectre de la déportation: « J'ai l'impression de traîner un poids qui n'est pas le mien, une vie qui n'est pas la mienne mais dont l'ombre varie avec les heures. (...) Je suppose que cette catastrophe était trop énorme pour pouvoir la supporter d'un bloc et qu'il a fallu la morceler entre les générations. »
Il n'est de fidélité sans échange.
La fidélité suppose deux termes, deux individus, ou un individu et une société, une institution. Ce pacte dont les règles changent selon les époques, les lieux et les domaines, est constitutif de l'organisation humaine. Une ligne brisée, un parcours à obstacles. Il faut avancer, combattre, vaincre et revenir. Mais ce parcours suppose un but à atteindre; pas de fidélité, que ce soit dans un couple, une croyance, une vocation, sans horizon, sans mémoire.
L'espion, l'amant, le croyant, le traducteur, l'exilé se trouvent confrontés aux mêmes questions : comment conjuguer la fidélité à soi-même et aux autres ? Pour être fidèle, combien de trahisons ?