Elle s'appelait Julie Jeanne Éléonore de Lespinasse. Julie pour le charme, Jeanne pour la sagacité, Éléonore pour la fantaisie. Julie c'est flamboyant, Jeanne c'est raisonnable, Éléonore c'est fantasque. Allez concilier tout cela ! Pourtant, elle y parvenait très bien. Elle avait à la fois la vocation des naufrages et le goût du bonheur.L'autre jour, sur le boulevard du XVIII? siècle, pas très loin de la rue Saint-Dominique, cet homme regardait sa montre. Il était pressé. «J'ai rendez-vous avec Julie», se disait-il. C'était moi, sans doute.
«Les Parisiens allaient voir Citizen Kane, le film d'Orson Welles. Yvon Petra gagnait le tournoi de Wimbledon, et Marcel Bernard celui de Roland-Garros. Sans doute avons-nous passé les vacances de 1946 à Vorges. Car nous ne pouvions retourner à Deauville. Les plages de Normandie n'étaient pas encore déminées, et les stations balnéaires n'avaient retrouvé ni leur visage ni leur vocation.Je dévorais des romans en croquant une pomme, les soirs d'été, dans la salle à manger de ma grand-mère ou dans ma chambre. Quel délice, la lecture, quand on a onze ans ! La réalité s'éloigne et se retrouve à des années-lumière. On oublie le monde entier. Et les heures passent et deviennent tardives sans nous avertir. Il est déjà presque minuit. Alors, il faut éteindre à regret et s'endormir sans connaître la suite.»François Bott.
D'aujourd'hui et de naguère, les nouvelles de François Bott captent dans de brèves aventures l'air du temps, sa fuite surtout, sans parler de la mort, qui ne se laisse jamais oublier. Ses héros sont aussi bien un footballeur qu'un vieux militaire, un journaliste malheureux, deux amants reliés par le TGV, un receveur des Postes qui communique sa passion de l'astronomie à un chef de gare. Mais soudain nous reconnaissons deux dames qui bavardent dans un salon de thé : Marie de Rabutin-Chantal et Sidonie Gabrielle Colette. Et cet Émile qui, en pleine Révolution de 1848, alors qu'il est tard et que sa femme lui demande en vain d'aller se coucher, va passer la nuit à rédiger un dictionnaire...C'est toujours le goût des mots, ou celui de prendre les êtres au mot. La dernière nouvelle, «Jerome David et Boris», est à la fois étrange et émouvante. En 1944, un jeune homme de Ville-d'Avray attend l'arrivée des Américains en jouant de la trompette. Dans la première jeep qui survient se trouve Jerome David Salinger. Le jeune homme français, c'est Boris Vian. L'un écrira L'attrape-coeurs, et l'autre L'arrache-coeur.