Janvier 1854:en faisant paraître Les Filles du feu, recueil de nouvelles suivi de douze sonnets rassemblés sous le titre Chimères, Nerval, par-delà les crises de folie et la maladie, prouve au monde que son génie reste intact. Abolissant les frontières entre ici et ailleurs, entre autrefois et aujourd'hui, entre autobiographie et songe, ces textes ont fasciné les plus grands auteurs du siècle suivant, de Proust à Yves Bonnefoy, en passant par André Breton ou encore Julien Gracq, qui écrivait:«Il y a chez Nerval une infusion omniprésente du souvenir, une chanson du temps passé qui s'envole et se dévide à partir des rappels même les plus ténus de naguère comme de jadis, et que je ne vois à aucun autre écrivain.»
Voici le premier tome de l'édition entièrement nouvelle des oeuvres complètes de Nerval. Ce tome était depuis longtemps attendu puisque le tome II a paru en 1984. C'était aussi le plus difficile à organiser, en raison de la médiocrité des travaux antérieurs, de la difficulté à accéder à plusieurs manuscrits et de l'extraordinaire prolifération des articles auxquels Gérard a donné beaucoup de son temps et de son talent. Il n'a pas fallu moins d'une équipe pour le mener à bien.
L'édition suit l'ordre chronologique, seule présentation capable de faire saisir l'étonnante trajectoire qui, en un quart de siècle, transforma le jeune Labrunie ou M. Gérard en Gérard de Nerval, pseudonyme définitif qui n'apparaît qu'en 1836. Durant les dernières années de la Restauration, disciple de Boileau et de Voltaire, il s'enrôle parmi les libéraux qui font la guerre aux ultras et témoigne alors d'une fécondité qui se traduit par des centaines de vers dont la plupart étaient restés inédits. En 1830, il se convertit au romantisme, qu'exprimeront les Odelettes, un romantisme discret par rapport à celui qu'arboraient ses amis du Petit Cénacle (même s'il a participé à la bataille d'Hernani) et il proteste contre la confiscation de la révolution de Juillet par la bourgeoisie. Mais il s'accommodera assez bien du régime de Louis-Philippe, collaborant à des journaux gouvernementaux, La Charte de 1830 et Le Messager, avant de devenir l'un des chroniqueurs dramatiques de La Presse. Passés au crible de la rigueur, et tous recueillis à leur date, les articles de Gérard montrent son très vif intérêt pour la scène : lors même que les pièces dont il doit rendre compte sont médiocres, il sait en donner des résumés intéressants, et formuler des appréciations qui constituent ces nombreuses pages en une histoire de l'art dramatique dans laquelle ne sont oubliés ni Shakespeare ni Sophocle.
Parallèlement à ce travail de grand journaliste, où apparaissent les sources majeures des oeuvres de la fin, Nerval esquisse des nouvelles et, loin d'oublier la poésie, crée six sonnets qui, douze ans avant Les Chimères, sont de purs diamants. En 1841, le long apprentissage est terminé. Les éléments des grandes oeuvres de 1850-1855 sont prêts. Mais Nerval ne se risque pas à donner forme à ces oeuvres ; il préfère encore l'esquisse à l'achèvement. Il sait que son heure viendra. Tout ce qui prépare le Voyage en Orient, Les Filles du Feu, Aurélia est ici en devenir.
«Le cercle se rétrécit de plus en plus, se rapprochant peu à peu du foyer». Le cercle dit l'enfermement, mais aussi la concentration. Dans ce tome III, qui couvre les trente derniers mois de l'existence de l'écrivain, Nerval en a fini avec le journalisme et cette bonne conscience que procurent la tâche accomplie et les feuillets publiés. Il est prêt pour le plus périlleux des voyages : celui qui mène aux profondeurs du moi, aux abîmes de l'âme. Malgré de longs séjours dans la clinique du Docteur Blanche, malgré les crises et les accès de folie de plus en plus nombreux, il écrit ses plus grands textes. Poésies, nouvelles, récits de voyages rassemblés dans ce volume témoignent de son énergie et de son étonnante créativité.
L'hiver 1855 verra Nerval, sans domicile fixe, errer dans Paris. Le 25 janvier, dans un état misérable et par un froid glacial, il se fait arrêter pour vagabondage. Du même jour date sa dernière lettre à sa tante Labrunie : «Ma bonne et chère tante [...] Quand j'aurai triomphé de tout, tu auras ta place dans mon Olympe. Ne m'attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche.» Le 26 janvier, au matin, Gérard de Nerval est trouvé pendu, rue de la Vieille-Lanterne.
Cette nouvelle édition de Gérard de Nerval réunit ses oeuvres complètes. Elle se compose de trois volumes dont les textes sont distribués chronologiquement, depuis les premiers essais poétiques qui virent le jour sous la Restauration jusqu'à Aurélia que sa mort laissait inachevé.
Le premier volume à paraître est le tome II, qui recueille les écrits des années 1850-1852, où commence à se dessiner l'image du dernier Nerval. Il contient Les Faux Saulniers, étonnant récit publié en feuilleton et qui n'a pas été édité depuis plus d'un siècle. Puis, le Voyage en Orient, admirable massif central de ce volume, avec ses aspects graves et souriants, et sa première assise, le Carnet du Caire, dont les notes souvent énigmatiques ont été mises à la question. Enfin, Les Illuminés, portraits d'originaux avec qui Nerval se sentait des affinités.
Les textes littéraires sont suivis des articles écrits par Nerval et de sa correspondance pendant les mêmes années 1850-1852.
" Nerval Aurélia Une dame que j'avais aimée longtemps et que j'appellerai du nom d'Aurélia, était perdue pour moi. Peu importent les circonstances de cet événement qui devait avoir une si grande influence sur ma vie. Chacun peut chercher dans ses souvenirs l'émotion la plus navrante, le coup le plus terrible frappé sur l'âme par le destin ; il faut alors se résoudre à mourir ou à vivre : - je dirai plus tard pourquoi je n'ai pas choisi la mort. " A la différence du narrateur, Nerval choisit la mort un jour de janvier 1855, laissant Aurélia inachevé. Le récit, qui ne dissocie pas le rêve et la vie mais au contraire les réunit - c'est son sous-titre -, affirme la quête de l'unité perdue par un Je qui raconte et commente tour à tour l'expérience qu'il entend dépasser dans une harmonie retrouvée.
Présentation et notes par Michel Brix.
Texte intégral. "
Sa folie n'était jusque-là qu'une espèce de logique ; il n'y avait eu d'aberration que dans ses imprudences. Mais s'il ne fut cité devant le tribunal qu'un visionnaire nommé Raoul Spifame, le Spifame qui sortit de l'audience était un véritable fou, un des plus élastiques cerveaux que réclamassent les cabanons de l'hôpital...
Il n'est pas rare de découvrir çà et là dans des oeuvres littéraires d'envergure de petites créations mal connues du public (pour ne pas dire tout à fait) et que leurs auteurs eux-mêmes ont eu plutôt tendance à déconsidérer, alors qu'elles mériteraient sans doute un regard plus curieux et des lumières à même de les faire mieux connaître.
Ainsi en est-il sûrement des deux contes fantastiques de Gérard de Nerval réunis dans ce volume :
La main enchantée et Le monstre vert. Deux contes où le merveilleux et le surnaturel se coudoient sans façon sous la plume de Nerval et dont il semble bien di"cile de dé#nir précisément la source, même s'ils s'inscrivent sans doute aucun sur un fond romantique et selon la manière fantastique d'un Ho$mann notamment.
C'est dans le décor d'un Paris du début du %?&&e siècle (et qui commence précisément à disparaître alors sous les yeux même de Gérard de Nerval en cette première moitié du %&%e siècle) que se situe l'action de ces deux contes fantastiques où le lecteur peut à loisir s'émerveiller comme frissonner en découvrant l'histoire de cette main autonome qui ne répond plus aux volontés comme aux désirs du personnage qui la possède et celle de cette naissance d'un enfant vert. Cependant, même s'il s'agit à l'évidence d'univers inquiétants et peuplés de phénomènes que l'on peut dire paranormaux, Nerval, par un usage constant et maîtrisé de la dérision et de l'ironie, ne manque jamais de désarmorcer et de mettre à distance l'inquiétante étrangeté que recèlent ces univers en leur donnant ainsi quelques délicieux airs de fantaisies à la fois sombres et drôles, comme terribles et légères.
Gérard de Nerval, l'un des plus grands écrivains français, s'est passionné pour l'initiation et la Franc-Maçonnerie. Au coeur de son monumental « Voyage en Orient » se trouve développée la légende de maître Hiram, de Salomon et de la reine de Saba qu'il prétend avoir recueillie auprès d'un conteur de Constantinople. En réalité, Nerval a rassemblé les éléments fondamentaux du mythe maçonnique révélés au grade de Maître et donne ainsi la version la plus complète de ce grade tel qu'il est encore vécu aujourd'hui. Il nous a donc semblé opportun de mettre en lumière cet aspect original de la démarche nervalienne afin de pouvoir aborder ce texte somptueux sous l'angle initiatique.
Le drapier Eustache Bouteroue, un homme lâche, est davantage préoccupé par son commerce que par son honneur. Lorsqu'il doit affronter en duel un militaire aguerri, il préfère chercher un expédient qui lui assure une victoire certaine. Pour cela, il utilise la magie noire et pactise avec des forces invisibles et sournoises, risquant de mettre en danger plus que sa vie.
De ses pérégrinations en Europe, Gérard de Nerval a rendu compte dans des articles nombreux.
Cette production foisonnante, publiée dans les journaux et revues de l'époque, est très peu et surtout très mal connue, puisque Lorely et les pages liminaires du Voyage en Orient n'en donnent qu'un reflet partiel. Et il est de surcroît malaisé, voire impossible, de se faire une idée des différentes versions des récits de voyage nervaliens à partir du seul appareil critique des variantes qui accompagne les éditions "définitives".
D'où l'intérêt de découvrir l'écrivain voyageur dans le jaillissement de son inspiration première et de suivre le processus de mutation qui - essentiellement par l'introduction de la fiction - fait accéder les premiers feuilletons de voyage, parus en ordre dispersé, au statut d'oeuvres abouties. En proposant les versions originales de ces feuilletons plutôt que les états derniers des mêmes textes, le présent recueil s'attache également à reconstituer les étapes d'autres cheminements, tout littéraires ceux-là, qui voient le "commis-voyageur de Paris à Munich" devenir progressivement, sous nos yeux en quelque sorte, l'auteur de Sylvie, d'Aurélia et des Chimères.
Un jeune homme de 21 ans adapte en mélodrame le roman noir d'un jeune poète célèbre, chef de file de l'école romantique.
Aucune représentation, aucune mention ultérieure, mais le texte vaut d'être lu ; le goût de Gérard pour les transpositions et la transgression des limites génériques décèle, dès cette époque, ce qui sera le fondement de son esthétique : la création est avant tout invention d'une forme. De cette sombre histoire exotique dont le héros est un monstre sanguinaire émergent deux thèmes essentiels de l'oeuvre à venir : la relation nécessairement tragique du père et du fils, et la noirceur du monde politique.
Sous le titre Les Confidences de Nicolas, Gérard de Nerval consacre en 1850 une longue et remarquable étude à Rétif de La Bretonne (1734-1806), l'auteur du Paysan perverti, de Monsieur Nicolas et des Nuits de Paris. Dans son oeuvre, Rétif avait fait le choix de raconter son existence "sans détours et sans voiles" et de supprimer tout filtre entre la vie et l'oeuvre littéraire. Usant avec une totale liberté des textes autobiographiques laissés par son modèle, Nerval s'est appliqué à recomposer la vie de celui-ci, dans un portrait qui peut passer à beaucoup d'égards pour un Contre Nicolas, ou un Anti-Rétif.
"Impression en « gros caractères » et version numérique téléchargeable gratuitement à partir du livre.
Extrait des Filles du feu : «J'étais le seul garçon dans cette ronde, où j'avais amené ma compagne toute jeune encore, Sylvie, une petite fille du hameau voisin, si vive et si fraîche, avec ses yeux noirs, son profil régulier et sa peau légèrement hâlée!... Je n'aimais qu'elle, je ne voyais qu'elle, - jusque-là ! »"
Avec l'aide de Henri Delaage (figure bien connue, au XIXe siècle, du Paris "initié") et de quelques illustrateurs (parmi lesquels le fameux Nadar, qui fut dessinateur avant de devenir photographe), Gérard de Nerval a composé ce Diable rouge, qui se voulait '"Almanach cabalistique pour 1850". Certains des textes qui forment cette petite brochure seront repris dans le chapitre "Cagliostro" du recueil des Illuminés. Le Diable rouge inaugure la période "républicaine" de Nerval, - celle qui verra l'auteur, en 1850 précisément, faire paraître dans Le National, grand organe quotidien de la gauche, Les Nuits du Ramazan et Les Faux Saulniers. La lecture du présent "Almanach cabalistique" intéressera tous ceux qu'attirent les sciences occultes, mais aussi tous les curieux d'histoire littéraire et d'histoire des idées. De façon exemplaire, en effet, Le Diable rouge témoigne de ce que fut la spiritualité romantique, dans laquelle se rejoignaient - en un mélange détonant, et au rebours des dogmes établis - élans religieux, théories millénaristes et doctrines politiques socialisantes.
De la populaire rue Saint-Martin, où il naquit, à la sinistre ruelle de la Vieille Lanterne, où il finit, le Paris de Gérard de Nerval est un pays aussi vivant que rêvé. Dans la nuit des Halles, à la prison de Sainte-Pélagie, ou vers la butte Montmartre, nous marchons sur les traces du poète et du piéton, et, au gré des rues ombreuses, des cafés du boulevard, des mauvais lieux et des rencontres de hasard, nous trou vons une ville qui a la forme d'une âme et le cæur d'un mortel.
Des textes justement célèbres (Les Nuits d'octobre), et d'autres peu connus (Mémoires d'un parisien) sont réunis ici sous le signe d'une promenade inspirée qui mêle sensations, souvenirs et sentiments, pour produire une géographie nervalienne touj ours propice à l' émerveillement.
Dans ce pittoresque récit de voyage (Voyage en Orient), écrit avec élégance et publié pour la première fois de son vivant en 1851, Nerval prend plaisir à se raconter et à éveiller nos sens, sans quitter jamais la légèreté et la finesse de la narration, mais ne se privant pas, de temps à autre, de quelques exquises touches d'humour.
Au passage et pour agrémenter notre lecture, il nous fait découvrir l'intérêt des coutumes pratiquées dans l'Orient (le Liban, mais surtout l'Égypte et la Turquie) qu'il visite dans les années 1840, dresse des portraits qui lèvent le voile sur la condition des femmes de l'époque et nous livre des détails psychologiques savoureux sur les caprices des jeunes esclaves, du Caire, entre autres.
Le tout est entrecoupé de considérations très actuelles sur les pyramides et sur les questions que leur construction suscite depuis des siècles.
Un régal pour les passionnés de littérature de voyage.
Le texte est suivi d'une notice biographique de Véronique Leblanc.
Le Voyage en Orient est un voyage géographique, initiatique et philosophique. De Paris à Cythère, en passant par Vienne ; de l'Égypte au Liban, et à Constantinople, le narrateur se plongera dans un monde oriental complexe, loin d'un Occident qu'il a dû fuir, à la recherche inlassable de la Femme.