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Littérature
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«Tu as fermé ta lettre de deux cachets à la cire rouge portant le monogramme de notre patronyme, la lettre K, élégamment inscrite dans une ellipse. Je conserve un souvenir d'enfance du sceau et de son bâton de cire, qui faisaient partie de l'immense bric-à-brac acquis aux salles d'enchères par Rodolphe durant son exil londonien. Sans doute avait-il trouvé dans cette onzième lettre de l'alphabet vendue au hasard de l'encan dans un lot disparate, fréquente en anglais comme en tchèque mais rare en français, le tesson de notre identité persistant dans la tourmente.Ce modeste K, qui appartenait peut-être à un King, un Kellogg, un Kenneth prématurément tué ou ruiné par la guerre, magnifiait soudain notre survie familiale à travers les tribulations du XX? siècle... Petit garçon j'avais tenté de jouer avec cet objet fascinant qui produisait des dessins en relief : je me souviens comment tu fis fondre pour moi avec ton briquet - tu étais encore fumeur dans les années 1960 - la cire qui grésillait. Je me remémore son parfum de brûlé, les bulles noires et rouges, la pâte molle qui en séchant fit naître ce camée cramoisi, chétif et précieux.»
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« Septembre 1980. Je vogue en direction d'Alexandrie. Je vais rejoindre le poste de doctorant qui m'attend au Caire pour ma thèse sur les mouvements islamistes. J'ai 25 ans et j'inaugure ma vocation... » Prophète en son pays est un récit de formation qui couvre les quatre décennies pendant lesquelles Gilles Kepel a parcouru le monde arabe et musulman, de l'Égypte au Maghreb en passant par le Levant et le Golfe, ainsi que les « banlieues de l'islam » de l'Hexagone et de l'Europe. Kepel fut en effet le premier à identifier et à étudier les mouvements islamistes, lors de l'assassinat de Sadate, en 1981, et à observer la naissance de l'islam en France dans ses significations multiformes.
Malgré l'écho international de sa vingtaine de livres, traduits en de nombreuses langues, ses analyses se sont régulièrement heurtées aux idéologies dominantes à l'Université - du tiers-mondisme d'hier à l'islamo-gauchisme d'aujourd'hui - comme aux politiques à courte vue des dirigeants français et de leur administration.
Sa mise en perspective de l'évolution du jihad faisant désormais autorité, et ses réflexions sur le «?jihadisme d'atmosphère?» alimentant le débat public, il en éclaire ici la controverse avec humour et érudition, face à la déferlante woke qui menace les études circonstanciées de l'islam contemporain et obère la libre réflexion sur notre société française. -
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Avec les attentats du 11 septembre 2001, Ben Laden et son mentor le Dr Zawahiri visaient à enrayer le déclin du jihad qui avait échoué pendant les années 1990 - en Égypte comme en Bosnie, en Arabie saoudite ou en Algérie. En frappant l'ennemi lointain américain, ils espéraient galvaniser leurs partisans et faire triompher l'islamisme radical dans le monde entier. Pendant ce temps, à Washington, l'influent lobby néoconservateur repensait les intérêts stratégiques traditionnels des États-Unis au Moyen-Orient : la sécurité simultanée de l'État d'Israël et des approvisionnements pétroliers. Mêlant aspirations démocratiques et réaffirmations hégémoniques, la «guerre contre la terreur» ouvrait en définitive la boîte de Pandore dans l'Irak occupé. Les sévices infligés aux prisonniers irakiens, les prises d'otages occidentaux exécutés ou égorgés par les jihadistes illustrent l'impasse dans laquelle sont précipités la politique américaine mais surtout le monde musulman. Le chaos met en péril le Moyen-Orient, menace ses lieux saints et déchire le tissu social : c'est la hantise séculaire des oulémas, docteurs de la Loi - ils l'appellent fitna, la guerre au coeur de l'islam. Face à cela, c'est en Europe, parmi les millions de musulmans qui y vivent désormais, que se joue la bataille pour l'évolution de l'islam - elle oppose la régression communautaire et la fusion avec la modernité. L'islam d'Europe est aujourd'hui à l'avant-garde de ce combat, le modèle sur lequel ont les yeux fixés les musulmans du monde qui aspirent à vivre librement.
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Chronique d'une guerre d'Orient/brève chronique d'Israël et de Palestine : (automne 2001)
Gilles Kepel
- Gallimard
- 30 Janvier 2002
- 9782070765133
«Parcourant des routes maintes fois foulées depuis plus de vingt ans, allant à la rencontre des jeunes et des étudiants, interrogeant les prédicateurs et les imams, les militants islamistes et les responsables politiques, j'ai voulu comprendre le drame du 11 septembre en retournant dans la région même où il s'était noué. Qu'en était-il de la popularité de Ben Laden, du ressentiment contre l'Amérique, de l'exaltation religieuse et d'al jazeera - mais aussi de la fascination pour l'Occident, du désespoir face au chômage et de l'envie de partir ? De l'Égypte à la Syrie, du Liban au Qatar et aux Émirats arabes unis, j'ai recueilli à chaud impressions et témoignages, tenant cette Chronique d'une guerre d'Orient, pour voir comment cet ultime avatar du jihad commencé avec l'attaque contre New York avait fini par l'écrasement des Talibans et la traque de Ben Laden, au terme de cent jours qui ébranlèrent le monde, et précipitèrent le déclin politique de l'islamisme.» Gilles Kepel.