Lorsque l'humiliation n'est plus que le résumé des jours, parce qu'à six ans vous n'êtes qu'un encombrant qui gâche l'existence de vos parents, la vie commence mal. Si vous ressentez, déjà, l'envie de tuer pour vous assurer que vous êtes, malgré tout, « quelqu'un », il devient, dans l'ordre ou le désordre des choses, urgent de passer à l'acte. Celui-là va tuer parce qu'il a de la vie en retard, il tuera pour ne pas mourir d'une honte longtemps cumulée. Il va s'y complaire. Juste une fois, rien qu'une seule fois pour voir ce que ça fait de tuer par orgueil...
Le droit de tuer fait-il partie de notre liberté ?
Celui qui a murit son crime, en est-il fier, libéré, satisfait, ou déçu que ce ne soit que « ça » ?
D'où jaillirent les alchimiques alliances qui façonnèrent mon immoralité, pour que le mal devienne mon seul potentiel, et qu'il trouble ma chair consciente et ma chère conscience.
On tue parce qu'il le faut, la guerre nous l'enseigne et nous soudoie d'une évidence qui, sans être la nôtre, nous permet de tuer en toute conscience, et d'en obtenir des récompenses.
Alors, tuer n'est plus qu'un jeu d'adresse !
Pour celui qui tue par vengeance, il y a délectation dans l'acte, un soulagement.
« Après avoir sollicité ma délivrance, j'avais entrevu une possible révélation dans ce que j'ai de mauvais et de désincarné, qui me ferait libre et fier d'être demeuré moimême.» « Quelles étranges structures carnées, quels labyrinthes ambigus, devenant accessibles, matérialisèrent les déterminations que j'amassai comme un labour en profondeur ? » Il y a tellement de mystérieuses raisons excusables de tuer.
Que de générosité dans nos choix !
Retranché dans une solitude jalousement préservée, un homme écrit son journal.
L'énergumène qui vient un jour le déranger est un incorrigible bavard dont la singularité la plus criante est sans conteste son épouse : celle-ci, défigurée par une faille du temps, est littéralement contenue entre deux âges, une moitié jeune et rayonnante, l'autre moitié vieille et défraîchie. Pour l'auteur en mal d'inspiration, celle qui répond au nom de Guérane devient vite un objet de fascination, et l'amour accomplit son acte de guérison : la peau flétrie se retend, visage et corps retrouvent leur fraîcheur uniforme.
Les deux amants laissent là le mari et partent défier les lendemains. Mais les aiguilles du temps se sont irrémédiablement affolées, et il faut bientôt se rendre à l'évidence : Guérane rajeunit d'un an tous les mois, et chaque nuit vient laver ses souvenirs du jour précédent, non encore advenu dans sa mémoire inversée. Portée par une fantaisie lexicale à la poésie joyeuse, cette insolite histoire d'amour est un hymne panthéiste à la nature et à la vie, un carpe diem à utilisation prolongée - dans ce bas monde, et dans l'autre...
« Je ne peux plus éviter l'affrontement. Nous y sommes. Mes certitudes élaborées et architecturées au millimètre, viennent de s'écrouler, se déglinguent. L'abcès qui me dévorait, chargé de napalm, ce boulet dévastateur qui comprimait ma poitrine, maintenant se déballonne au crissement de ses pas... ».
Un petit roman de 70 pages décapant à l'écriture ciselée, une lecture fascinante !