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P.O.L.
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Ceci n'est pas un livre pornographique. Ni exploitation commerciale du sexe, ni tentative de titillation du lecteur : ratages et demi-fiascos, contingences et ridicules sont relatés au même titre que les plaisirs les plus heureusement partagés. Nulle prouesse. Ceci n'est pas un livre érotique. L'art du narrateur, si art il y a, ne consiste pas en un effort pour rendre plus poétique le récit, plus culturel, plus relevé ni, partant, plus acceptable socialement. Pas d'esthétisme. Ceci n'est pas un livre scientifique, certes, pas même un document sociologique. Les épisodes rapportés ne doivent leur agencement qu'au hasard, ou aux déterminations les plus subjectives. Ce livre essaie de dire la sexualité, en l'occurrence l'homosexualité comme si ce combat-là était déjà gagné, et résolus les problèmes que pose un tel projet : tranquillement.
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Onze sites mineurs pour des promenades d'arrière-saison en Lomagne
Renaud Camus
- P.O.L.
- Fiction
- 14 Juin 1999
- 9782867445699
Lire est de même se retirer du monde, peu ou prou, s'approcher de la fontaine, traiter de pair à compagnon avec la nuit.
" Je n'y suis pas ", dit l'homme qui lit : je suis sorti de moi par l'oeil, le souffle et la virgule, ce corps n'est celui de personne, respectez-le comme tel, vous avez raison d'avoir peur. Toute phrase est uns clef des champs. Mais les champs sont à leur tour autant d'incipit, les bois des guillemets, dans cette ferme abandonnée nous aurions tort de ne pas reconnaître une victime, encore une, de la concordance implacable des temps.
Je parle d'une source : c'est une source qui parle.
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Nightsound est un tableau de Josef Albers, un " Hommage au Carré " tardif et sombre, actuellement conservé au château de Plieux, dans le Gers.
Il donne son titre à cet essai sur l'artiste germano-américain (1888-1976), rapproché ici de la mystique rhénane et de la théologie négative, de l'exploration des modes de la Présence, et de la figuration (non-figurative) de Ce-qui-n'a-pas-de-Nom. Six Prayers est le chef-d'oeuvre d'Anni Albers (1899-1994). C'est un ensemble de six tapisseries, commande du Jewish Museum de New York à la mémoire des victimes des camps de concentration.
Le texte de Renaud Camus accompagnait l'exposition rétrospective du Musée des Arts décoratifs de Pairs, à l'occasion du centenaire de l'artiste.
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Sont réunis dans ce recueil les textes de trois conférences prononcées par Renaud Camus, l'une à la Sorbonne le 25 novembre 2003, la deuxième à la faculté des lettres de Dijon le 25 juin 2002, la troisième au Centre culturel français de Séoul le 29 avril 2004. Ce sont trois éloges : de la syntaxe, de la honte, du chuchotement. Soit respectivement : l'autre dans la langue, l'autre dans la conscience, l'autre dans la voix.
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Les Journaux de Renaud Camus participent-ils d'une entreprise échevelée d'écriture de la vie et, de fait, la vie passe dans ces pages... Ils sont, en tout cas, le lieu du délectable échange des heures avec les mots, des ciels avec les points et les virgules, des plaisirs avec les guillemets, des mélancolies mêmes avec les paragraphes. Sans doute, s'écrire ainsi tout entier, c'est jouir au plus près d'une fusion, fébrilement fabriquée sous l'instance complice de la langue, entre l'individu et tout ce que ses yeux, ses attentes, ses nerfs, ses colères, ses désirs, ses passions sont capables d'offrir à sa vigilance : tableaux, adagios, actualités, jardins, Bosnies et voluptés.
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«Cette fois nous n'avons plus le prétexte de Rome, de l'Italie, du voyage, du spectacle du monde : el viajo que narro es... autour de ma chambre, comme dit Carlos Argentino Daneri, l'admirable et ridicule poète, Second Prix National de Littérature, que Borges met cruellement en scène dans son Aleph. Et les aguets dont il est ici question sont bien souvent déçus, fatalement. Peuvent-ils offrir autre chose, dès lors, qu'une décevante lecture ? Pertinente inquiétude, certes, si je puis me permettre. Tandis que, d'un autre côté..., comme dit cette fois Laforgue, qu'en serait-il, je vous prie, d'une lecture qui ne serait pas décevante ? La littérature - nous n'y prétendons pas tout à fait, mais tout de même - la littérature ne commence-t-elle pas à la phrase qui ne fait pas absolument son travail, qui ne dit pas exactement ce qu'on s'attendrait à ce qu'elle dît, qui ne donne pas ce qu'on a payé pour qu'elle nous fasse entendre ? Et le comble de la forme journal, d'autre part, son essence, sa fin, son fin des fins, ne serait-ce pas de montrer un homme qui tiendrait avec une si maniaque assiduité son journal qu'il ne pourrait plus avoir d'autre activité journalière que celle-là, puisqu'elle lui prendrait tout son temps ? J'écris que j'écris Aguets, voilà quoi. Si notre scribe avait une existence palpitante, au contraire, s'il faisait tous les matins la révolution, l'après-midi la guerre, le soir l'amour et la nuit la critique de la Raison pure, non sans déjeuner entre temps avec Gorbatchev, goûter avec le prétendant au trône de Moldavie pour finalement dîner avec Arielle Dombasle, ou Marie-France Garaud, voire Bertrand Poirot-Delpech, ou l'inverse, je ne sais plus, il se ferait la part trop belle, à mon avis, et ce ne serait plus de jeu, vraiment. Ici rien de tel, rassurez-vous. Rien dans les mains, rien dans les poches (encore que...). Lisez Aguets, je ne saurais trop vous le conseiller : on s'y tient les côtes de bout en bout. C'est un bloc de pur glamour. Et l'on reste pantois de voir l'univers entier avec ses plages, ses bars, ses basiliques, ses cuisines, ses critiques littéraires, ses tragédies et ses beaux promenoirs, tenir à l'aise dans une si mince plaquette.»
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Qu'il n'y a pas de problème de l'emploi
Renaud Camus
- P.O.L.
- Essais P.o.l.
- 13 Octobre 1994
- 9782867444272
Il n´y a pas de problème de l´emploi. Il y a un problème de revenus, d´une part, et il y a un problème de temps : un problème de revenus qui manquent, et que l´on ne saurait où trouver ; un problème de temps qui est en excès, au contraire, et dont on ne saurait que faire. Un problème de recherche d´argent, un problème d´usage du temps. L´un est économique, l´autre est ontologique. Tous les deux sont métaphysiques. Le problème économique se présente comme une quête, le problème ontologique se présente comme une épreuve. Où chercher? doit-on se dire ici. Que faire? est-on forcé de se demander là. Il faut changer d´époque. Il faut changer de mots. Ce qu´il faut, c´est mettre le problème cul par-dessus tête.
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Comme à laccoutumée, ce nouveau tome du Journal de Renaud Camus nous fait partager de nouveaux émois, de nouvelles colères, dautres lumières et dautres visages, des corps et des gestes, des musiques et des silences. Dautres, les mêmes pourtant, sans cesse changés et repris. Circule ici, comme toujours et comme jamais cette 'avidité dêtre qui fait les heures toujours trop courtes, les jours trop rapides, les semaines trop peu nombreuses, le monde trop vaste pour la curiosité que jai de lui. [...] Cest une course avec la mort, et elle la gagnera fatalement. Mais cest une course qui loblige à courir un peu, elle aussi, au lieu dattendre paisiblement que dennui je tombe entre ses bras.'
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Un homme s'éloigne.
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Le Gers n'est pas un département très métaphysique, à première vue : il manque un peu d'altitude, d'espace perdu, de manque, de " chemins qui ne mènent nulle part "...
Pourtant le ciel, en ces parages, nous accorde une intimité beaucoup plus étroite qu'ailleurs : il n'est pas seulement au-dessus de nos têtes, il nous environne de toute part ; il marche à nos côtés, un bras sur notre épaule, ainsi que l'ange avec Tobie. Le Gers est une invention de la lumière. Mais il y a aussi qu'on finirait par s'envoler presque, à force de monter et descendre, tandis que l'horizon s'ouvre encore, prêt à nous boire, jusqu'à la neige des Pyrénées.
Collines, crêtes, routes en balcon, modestes promontoires, tremplins pour le regard et pour le corps : ils sont la carte de la vie sur les hauts, de cette " civilisation des buttes " qui est peut-être l'essence du génie gascon, et le secret de sa fierté, chacun tutoyant l'espace, seul entre sa femme et la chapelle, près des cyprès trop grands pour leur cimetière. Renaud Camus renoue avec la tradition de la rêverie-promenade.
Ca ne l'empêche pas d'avoir quelques humeurs, au passage, de décrire avec précision les lieux, et d'enseigner clairement à se perdre. Un index remet un peu d'ordre.
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Le discours de Flaran sur l'art contemporain en general et la collection de Plieux en particulier
Renaud Camus
- P.O.L.
- Fiction
- 25 Novembre 1997
- 9782867445903
Renaud Camus, chez lui, à Plieux (Gers), abrite une des plus belles collections dart contemporain actuellement visibles en France. Le texte recueilli dans ce petit livre est une réflexion autour de ces uvres qui se tiennent exactement sur cette lisière, en ce lieu impossible, intenable, ce non-lieu, entre labsence et la présence, entre le silence et la parole, entre la profération et le retrait, entre le sens et le refus de sens, ou la totale ambiguïté. Elles représentent parfaitement cet art de la seconde moitié du XXe siècle, qui vient après Auschwitz, sans doute le plus grave, le plus profondément tragique, de toute lHistoire de lhumanité.
'L'art contemporain tel du moins, encore une fois, qu'il est représenté à Plieux, et aujourd'hui à Flaran, donc, mais plus généralement en l'une de ses expressions, ou de ses tendances, que je crois compter parmi les plus hautes , l'art contemporain, autant ne pas le cacher, a quelque chose à voir avec le "rien", voilà ce que je pense. Par la même occasion, il a quelque chose à voir avec le sacré.'
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Vendredi 18 décembre, dix heures du matin.
Dans la débauche, je pense à l'amour. Dans la relation sentimentale, je ne peux pas oublier les voluptés de rencontre, ou de passage. Tous mes voeux sont farcis de leur contraire, mes phrases de leur négation, mes opinions de leur critique, mes livres de l'invite à ce qu'on les prenne pour l'opposé de ce qu'ils paraissent, et qu'ils ne veulent pas paraître tout à fait. Ma personne même ne se décide à être personne.
Suis-je un riche châtelain avec une belle voiture, ou bien un clochard de campagne, promis à des intérieurs de terre battue, parmi des ruines béantes sans fenêtres ? Ai-je envie d'être envié, ou d'être plaint ? Désiré-je être heureux, ou bien souffrir poétiquement ? Suis-je le critique intraitable des moeurs littéraires, de mon temps, ou bien le chantre de la politesse et de la courtoisie, le Philinte qui écrit des petits mots bien aimables à tous ceux de ses confrères qui lui envoient leurs livres ? Un ours, ou un chien de salon ? Un écrivain d'avant-garde, ou ce qu'il en reste, ou un laborieux producteur de copie, qui essaie d'en tirer sa pitance ? Un homme de gauche, ou un fieffé réactionnaire ? Ai-je vraiment envie de me retirer du monde, ou bien si c'est pour qu'il insiste, afin de me serrer plus étroitement contre lui ? Même dans mes vêtements, je n'arrive pas à me décider.
Si demain je vais à Toulouse, sera-ce vêtu d'un vieux jean et d'un blouson de cuir, dans l'espoir d'une rencontre avec quelque moustachu en comparable appareil, ou bien dans la tenue de hobereau anglophile qui s'est plus ou moins imposée d'elle-même, ici, entre mon pigeonnier, la boue, mes chiens et les visites de la générale (qui est venue m'apporter, avant hier, du foie gras de sa propre confection) ? Je n'aperçois de tous côtés que des emplois.
Ce n'est pas que je n'y crois pas, mais je ne parviens jamais à m'y voir tout à fait. J'ai toujours envie d'être ailleurs, ou d'être quelqu'un d'autre, dont je soupçonne qu'il pourrait être moi tout aussi bien ?
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" Graal-Plieux " est le nom d'une exposition du peintre Jean-Paul Marcheschi, qui s'est tenue au château de Plieux, dans le Gers, de juillet à septembre 1993.
De cette exposition il est peu question, à vrai dire, dans ce volume de journal qui lui doit son titre. Elle en occupe le centre, mais ce centre est creux, pour la simple raison, sans doute, que l'attention qu'elle a demandé rendait impossible, tandis qu'elle durait, d'en tenir aussi la chronique ou d'en faire le commentaire. Aussi bien est-il dans la nature du Graal de se dérober sans cesse à la consistance, à l'emprise et d'abord à la définition.
C'est en quoi il ressemble à nos vies. Du moins voit-on du pays, le temps qu'on court après lui.
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Abécédaire d'une "oeuvre" en grande partie imaginaire, fantasmée, dérobée - d'un désir d'oeuvre, plutôt.
Carte infiniment extensible, en son principe, et qui pourrait finir, n'y prendrait-on garde, augmenterait-on l'échelle, par devenir si vaste qu'elle recouvrirait entièrement le pays dont elle se prétend la carte - jusqu'à pouvoir se substituer à lui, qui sait (plus précise, même, en de certaines parties, que cette contrée élusive inachevée).
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Le département de l'Hérault ; avec un index des noms de lieux et des personnages cités
Renaud Camus
- P.O.L.
- 4 Juin 1999
- 9782867446337
Le département de l'Hérault n'est pas ce que l'on croit.
En fait il en est peu, parmi les départements français, qui ressemblent moins à leur image. On pense à lui, on voit des plaines viticoles et des plages. Pour la plus grande part, cependant, il ressemble plus à la Lozère qu'à la Côte d'Azur. Entre Cap-d'Agde et Saint-Jean-de-Buèges, entre Lunel et Saint-Pons-de-Thomières, il ne se ressemble même pas à lui-même. Et ce malentendu accroît sa solitude. Or, s'il est un des conservatoires de plusieurs civilisations à leur meilleur, et le laboratoire d'une ou deux autres - pas forcément très engageantes -, la solitude possède en lui nombre de ses hauts lieux.
Mais elle est peut-être une civilisation, elle aussi ?.
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Un homme d'une cinquantaine d'années, écrivain, rencontre un garçon de vingt ans, un étudiant.
Une semaine durant, ils se voient à plusieurs reprises, assez longuement. Tous les deux tiennent un journal. L'écrivain propose au jeune homme la publication conjointe, sous une même couverture, des pages qu'ils ont écrites l'un et l'autre pendant la même courte période. Le livre aurait pour titre le prénom du garçon, Incomparable (conte cruel).
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Le livre Commande Publique est lui-même une commande publique, en l'occurrence de la part de la même instance administrative qui depuis dix ans et plus attribue à plusieurs dizaines d'artistes français et étrangers la charge, pour chacun, d'assurer la présence de l'art dans chacune des stations de la ligne A puis de la ligne B du métro toulousain - certainement l'un des plus importants ensembles d'art contemporain dans l'espace public à travers le monde...
Renaud Camus n'examine pas une à une chacune des réalisations déjà en place, ou qui le seront très bientôt (et qu'il connaît pour avoir été associé très tôt à l'ensemble du projet en tant que membre des jurys successifs), mais plutôt il s'interroge, dans un esprit assez voisin de celui de son livre Du sens, sur ce qu'il en est aujourd'hui de la place de l'art au beau milieu des flux et reflux de notre société hyperdémocratique (ce qui n'est pas le parachèvement de la démocratie, on s'en doute) et post-culturelle (où tout étant culturel rien ne l'est plus vraiment).
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Le paraître est du côté de la civilisation.
C'est le moins qu'il puisse faire, puisque c'est lui qui l'a créée. L'homme est sorti de la barbarie le jour où il a commencé à se soucier du regard de l'autre sur lui, et de l'opinion qu'on pouvait entretenir à son sujet, en face. L'homme est sorti de la barbarie le jour où il s'est vu dans un miroir, ou dans le cours, Narcisse, d'une onde claire. L'homme est sorti de la barbarie le jour où il est sorti de l'être : il voulait voir un peu de quoi l'être avait l'air, vu de l'extérieur.
Nous appellerons paraître cette légère couche de paranoïa qui a inventé la ville et même la cité, la civilité, la convention, l'art, la morale, la littérature et le geste inutile.
Jeune, c'est par vanité qu'on se regarde dans les miroirs ; plus tard c'est par prudence, ensuite par politesse, et finalement par modestie.
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Un oubli immérité recouvre Roman II, roi de Caronie de 1927 à 1930, puis de 1933 à 1948. Cet oubli ne fait que refléter, d'ailleurs, la curieuse opération à laquelle se livrent les autorités actuelles de la République populaire de Caronie, et qui consiste, en somme, à substituer une histoire à une autre. Loin de nous de prétendre que celle qui est enseignée de nos jours dans les écoles du pays, et qu'exposent à l'étranger les nombreux volumes diffusés par les soins du présent régime, soit imaginaire. Non. Les grèves, les mouvements ouvriers, les formations de syndicats, les luttes prolétariennes dont cette Histoire désormais officielle fait état ont sans doute existé. Mais sans doute aussi n'ont-ils pas eu l'importance qu'on leur donne maintenant. Du moins les contemporains, abusés à leur manière, peut-être, mais en sens inverse, ne les ont-ils guère remarqués. Ils vivaient une autre Histoire où s'agitaient d'autres personnages, qui nous sont aujourd'hui restitués. Mais Roman Roi n'est pas seulement un document historique. C'est aussi un drame d'amour et d'aventures sur fond de guerre et de conspirations, le portrait, sensible et profondément humain, tracé par un de ses proches, d'un homme à la personnalité complexe et attachante, et une évocation chatoyante des figures hautes en couleurs qui jouèrent un rôle dans sa vie ou dans son règne, des «dames d'Arkel», ses aïeules, à son ami le marquis Hito, le jeune ambassadeur du Japon, de «l'Archange», Gabriel Nomarek, fondateur de l'Arc noir, au maréchal Warohlmeck sans oublier, bien sûr, la fascinante lady Diana Landsor, qui sera la dernière reine de Caronie.
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Les neuf textes qui composent ce petit livre ont été rédigés sur presque une dizaine d'années, à des moments perdus, pourrait-on dire, du moins pour les premiers. Le vide, le regret, le silence et le temps qui passe ont eu tout loisir, dès lors, de s'immiscer entre eux, parmi leurs paragraphes, dans la matière même de leurs phrases, peut-être, et la couleur de leurs mots ; c'est au point que ces proses ne trouvent leur résolution, sur le tard, qu'autour de ce thème, l'absence, dont on dirait qu'elles s'efforcent de constituer, distraitement, une sorte de bref traité, mélancolique, ardent et souriant. Les Élégies pour quelques-uns sont le livre compagnon de Tricks, sa contre-épreuve, si l'on veut : mince puisque Tricks est épais, discursif puisqu'il ne commente pas, lyrique puisqu'il est impassible, sentimental puisqu'il ne parle que des corps et des gestes.
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" 1.
Ne lisez pas ce livre ! Ne lisez pas ce livre ! " Tel était le premier des 999 paragraphes de P.A. (Petite Annonce), volume publié aux éditions P.O.L en 1997. Depuis lors P.A. s'est vu installer sur le net, l'espace qui lui était le plus approprié, et même le seul adéquat, peut-être, tant le cours du récit et du sens, en cette Annonce, loin d'être tendu de façon linéaire, du début vers une fin, comme dans les livres ordinaires, était fertile en carrefours, au contraire, en chemins de traverse, en pertes, en cavatines, en cavernes, en abymes - parenthèses dans la parenthèse et notes à la note à la note à la note, indéfiniment.
En ce transfert d'un monde à l'autre, P.A. est devenu Vaisseaux brûlés, gigantesque atelier en expansion permanente, où chacun des paragraphes de l'ouvrage initial, chacune de ses phrases, chacun de ses mots, a vocation à engendrer une littérature arborescente, au gré de remords et d'ajouts. Pour ceux que n'inspirent pas le ciel cybernétique, cependant, et qui restent fidèles à l'encre et à la page, retour entre vos mains à l'édition classique : Ne lisez pas ce livre ! présente sur papier la postérité à ce jour du premier paragraphe de P.A., et donc de Vaisseaux brûlés (wwwperso.wanadoo.fr/renaud.camus).
Un répertoire indique l'ordre des textes dans l'espace virtuel, tandis qu'une table des matières, selon l'usage, les énumère d'après leur succession de fait, à l'intérieur de ce volume. Entre ces deux ordres lisez, ne lisez pas, levez les yeux, promenez-vous, ne lisez pas, lisez.
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Ce livre de conception radicalement nouvelle, et de facture pour le moins déconcertante, pose la Petite Annonce comme genre littéraire. Fait de 999 paragraphes, constellé de renvois, d'appels de notes et de notes proliférant jusqu'à se substituer au texte qu'elles sont censées commenter, ce dispositif s'affirme comme une entreprise de répudiation ? momentanée? ? du roman. Car l'idée est que les livres au lieu d'être un espace linéaire tendu vers la fin, doivent se creuser, se poursuivre au coeur d'eux-mêmes, gagner en épaisseur. Ces Petites Annonces en guise d'Auto-Portrait, jeu de l'offre et de la demande tous azimuts, ont pour enjeu principal la recherche d'un amant. Et dans cette tentative d'épuisement d'une conscience retirée dans ses terres, où ce que l'on est importe davantage que ce que l'on fait ou pense, la mise à nu passe aussi bien par le génie du lieu. Ainsi entre les partis pris esthétiques des Églogues et la crudité de Tricks, Renaud Camus nous propose ici son 'Nohan', territoire intime qui pourrait bien être sa création artistique la plus audacieuse.
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Les Journaux de Renaud Camus participent d'une entreprise échevelée d'écriture de la vie. Ils sont le lieu privilégié du délectable échange des heures avec les mots, des ciels avec les points et les virgules, des plaisirs avec les guillemets, des mélancolies même avec les paragraphes. Sans doute, s'écrire ainsi tout entier, jour et nuit, est-ce jouir au plus près d'une fusion fébrilement fabriquée sous l'instance complice de la langue, entre l'individu et tout ce que ses yeux, ses attentes, ses nerfs, ses colères, ses désirs, ses passions sont capables d'offrir à sa vigilance : le monde, le monde entier.
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«Tony Duparc et moi avons concocté le mot achrien, il y a quelques années, pour remplacer éventuellement, dans certains cas, homosexuel, qui ne nous satisfaisait pas tout à fait, non plus que ses divers synonymes. Substantif et adjectif, achrien n'a aucune prétention de s'imposer à quiconque, même pas à nous-mêmes : un mot de plus, c'est tout. J'ai appelé Notes achriennes un recueil de fragments sur l'homosexualité, publié par les soins d'Hachette/P.O.L en 1982. Le présent volume, lui, réunit les Chroniques achriennes parues de mois en mois, puis de semaine en semaine, dans Gai Pied, entre août 1982 et août 1983. Ce sont des textes musardiers, buissonniers, qui parlent de tout et de rien, de vous et de moi, d'agacements récurrents et d'engouements subits, du temps qui passe et de l'amour. Je leur ai ajouté un certain nombre de notes, de longueur variable, qui forment à peu près un quart de ce livre et sont, elles, inédites. Elles ne visent évidemment pas, faut-il le dire, à épuiser le sujet.»