La Genèse, qui est le premier livre de la Bible, raconte la création de l'homme et les commencements du monde, mais elle les raconte de façon très laconique.
Par exemple, il n'est dévoilé nulle part quelle espèce de poison renfermait le fruit de l'Arbre de la Connaissance. Il n'est pas montré comment Eve, pour avoir Adam à elle toute seule, le brouilla avec les animaux, la nature et le Créateur lui-même. Quelles circonstances atténuantes Caïn avait-il pour que le Seigneur défendît qu'on le tuât ? Dieu, enfin, après avoir été content de son oeuvre, en a été dégoûté au point de la rayer comme un brouillon par le Déluge et de la recommencer.
Le Livre de la Genèse est particulièrement émouvant en ce qu'il montre comment le Tout-Puissant s'est heurté aux hommes. Ceux-ci, souvent, en dépit de leur foi et de leur amour, lui résistent, discutent avec lui, et il arrive qu'ils influent sur sa volonté. Jean Dutour a en quelque sorte " rempli les blancs " de la bible, c'est-à-dire qu'il a ajouté au récit sacré des détails historiques ou psychologiques, ainsi que quelques raisonnements qui manquent.
Rien n'est changé mais tout est éclairé, tout prend soudain vie, et l'on s'aperçoit que les hommes qui existaient il y a des milliers d'années sont nos pères, presque nous-mêmes. Abraham, Jacob, Joseph, tous ces précurseurs avaient notre cerveau et notre coeur.
Fervent admirateur de Zola, Remi Chapotot est un romancier médiocre qui jouit malgré tout d'une notoriété certaine. Jacky Lataste, provinciale rêvant de gloire et de lauriers, le repère comme un parti très prometteur ; elle décide de prendre en main sa carrière et obtient finalement son élection à l'Académie française.
Fort de sa réussite sociale, Chapotot se révèle bien malgré lui l'objet de toutes les convoitises féminines: de Mme Petitdider, sa secrétaire qui lui voue une adoration sans bornes, à Jacky, la provinciale qui rêve de devenir sa maîtresse, en passant par Mme de la Bigne, vieille aristocrate tenant salon comme au XIXe siècle, il déchaîne les passions.
Dressant avec humour et subtilité un portrait de l'écrivain dans son milieu, Jean Dutourd brosse un tableau réjouissant du petit monde des lettres et de la critique qui sévit dans la deuxième moitié du XXe siècle. Jouant sur les codes du roman proustien ou flaubertien, il égratigne l'arrivisme de la bonne société parisienne, et nous donne à lire l'un de ses plus délicieux romans.
«Vers l'âge de huit ans, je fis deux découvertes capitales : que les grandes personnes mentaient sans arrêt, mais que les livres rétablissaient la vérité. Les grandes personnes, par leurs leçons et leurs punitions, s'acharnaient à me faire voir le monde tel qu'il n'était pas. Les livres me le montraient tel qu'il était, c'est-à-dire comme je le voyais moi-même. En outre, ils étaient délicieux car ils mettaient la vérité en musique. La vérité était du Mozart avec Voltaire, du Wagner avec Proust, du Beethoven avec Balzac, du Schubert avec Stendhal. La passion du papier imprimé ne m'a jamais quitté, et je dirais presque comme Montesquieu : "L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé."»
Les horreurs de l'amour Le séminaire de Bordeaux
Depuis le mois de mai 1968, j'ai entendu et lu un grand nombre de bêtises sur divers sujets : la jeunesse, la France, le général de Gaulle, la révolte, le langage, les bourgeois, le progrès, etc.
Or il se trouve que j'ai, moi aussi, des idées sur ces sujets-là. Comme je ne les ai lues nulle part, je suppose qu'elles sont originales. Par exemple, je pense que la jeunesse est un néant, que la révolte est une blague, que le progrès est mort vers 1925, que la culture est une imposture, que la liberté est la chose que les hommes haïssent le plus au monde en dépit de leurs beaux discours, que la patrie est le seul bien des pauvres et que les peuples heureux ont un destin atroce.
Il est évident que ce livre est écrit pour les 50 personnes qui pensent comme moi. Les autres s'imagineront que je les traite de jocrisses et pousseront des cris J. D.
L'auteur raconte un tête-à-tête qu'il eut avec le général de Gaulle, personnalité qui l'avait fort impressionné.
Dans ce livre, Jean Dutourd oublie ses contemporains en relisant les auteurs du passé : Celui qui a pour principale lecture celle des auteurs morts n'a pour amis, voire pour interlocuteurs, que des hommes supérieurs.
Il jubile avec La Vie de Rancé, de Chateaubriand : C'est mystérieux et savant comme les derniers quatuors de Beethoven.Il salue Paul-Jean Toulet, à propos des OEuvres complètes : Il enfonce Gide, Valéry, et quelques autres mastodontes. Il se réjouit en plongeant dans le journal de Boswell. Et réagit pareillement en ouvrant l'édition en trois volumes du Journal littéraire de Léautaud, Volupté de Sainte-Beuve, les romans de Kipling, la Vie de Rossini de Stendhal, Gobineau, Maurice Sachs, Conan Doyle, Vialatte ou Bernanos.
On oublie trop souvent que Dutourd, célèbre pour sa causticité et ses tableaux de moeurs, a écrit l'un des plus beaux livres de critique littéraire du siècle, L'Ame sensible. Avec Domaine public, qui prend la suite d'un autre recueil de chroniques littéraires, Contre les dégoûts de la vie, il instruit, amuse et régale son lecteur. C'est un merveilleux professeur qui donne envie de partager ses plaisirs.
En 1952, Jean Dutourd avait décrit dans Au bon beurre un nouveau personnage : le crémier enrichi par le marché noir de l'Occupation, mais le BOF lui-même a cédé la place à tous les marchands de modernité.
Lassé de ne pas retrouver la société d'aujourd'hui dans la plupart des romans contemporains, Jean Dutourd a repris son bâton de pèlerin pour écrire les histoires qu'il aurait voulu lire, ce qui est très souvent le meilleur point de départ. Il a posé son chevalet - expression qu'il affectionne - et peint trois tableaux : Le Séminaire de Bordeaux, Portraits de femmes et L'Assassin.
On devrait accorder plus d'importance aux boutades, tout au moins les prendre pour ce qu'elles sont : une manière pudique et ourlée de dire sa vérité. Dutourd prétend qu'il est devenu écrivain - alors que sa première vocation était la peinture - parce que les fournitures de l'un sont moins onéreuses que celles de l'autre. La lecture attentive de son oeuvre démontre qu'il n'a pas cessé de peindre, notamment les chercheurs du CNRS (Le Séminaire...), les écrivains à succès (Portraits...) et les vedettes de l'actualité (L'Assassin), trois piliers - certes ni prolétaires ni épiciers - ô combien représentatifs de la société française contemporaine.
La Trilogie française, contrairement aux récits postbalzaciens, nous ouvre les coulisses de la France réelle. C'est bien dans la manière de l'auteur, toute wildienne, de décrire les contours pour aller à l'essentiel.
Alain Paucard
Les deux rubriques les plus célèbres de la presse française sont le dessin de Faizant dans le Figaro et la chronique de Dutourd dans France-Soir. Faizant, chaque année, publie un album de ses meilleurs dessins. Voici l'album de Dutourd pour 1981. La France est-elle vraiment une maladie ? Quand on est français, dit l'auteur, il ne se passe pas de jour que l'on n'éprouve une douleur quelque part. D'où l'expression naïve et ridicule : J'ai mal à la France . On n'imagine pas un Chinois disant qu'il a mal à la Chine, ni un Zurichois ayant mal à la Suisse. L'ouvrage est divisé en deux parties : Avant le 10 mai et Après le 10 mai , et traite principalement des événements que l'on sait selon une optique particulière. Exemple : C'est un régal pour le philosophe de voir un peuple d'amnésiques porter au pouvoir des gens qui n'ont jamais manqué une sottise. Ce régal, Jean Dutourd nous le fait partager. Il n'est ni polémiste ni pamphlétaire. Il parle de tout avec bonhomie, naïveté, moquerie, humour, sans jamais hausser le ton, et chacun de ses traits est meurtrier. Son secret consiste à aborder les sujets par un angle que personne n'avait soupçonné avant lui. D'où une surprise perpétuelle du lecteur qui voit qu'avec les idées de tout le monde et le simple bon sens de l'homme de la rue, on peut aller avec une vitesse fulgurante jusqu'au fond des choses.
Une tête de Chien Au bon beurre Doucin Pluche Le printemps de la vie Mascareigne Moralités
Les vaches maigres ne sortent pas seulement du Nil. Le 10 mai 1981, elles sont sorties de la Seine. Elles étaient sept, comme dans la Bible, personnifiant les sept années pendant lesquelles allait régner le nouveau Pharaon que nous nous étions donné.
Nul, pas même les tenants de l'opposition, n'imaginait alors qu'elles seraient si maigres et si voraces. Les trois premières ont déjà mangé plus de la moitié de nos ressources.
Les vaches françaises sont pires que les vaches égyptiennes ; elles ne se contentent pas de tout dévaster : elles nous expliquent que c'est pour notre bien. En outre, elles sont sourdes. Le peuple leur crie depuis bientôt deux ans de s'en aller, elles ne font qu'en rire, car les vaches rient, c'est bien connu, notamment quand elles sont installées dans un fromage.
En 1985, la gauche française a fait des choses grandes et inoubliables. Elle a montré son bon coeur en tâchant de donner la Nouvelle-Calédonie aux Canaques, sa puissance dans le monde en coulant le bateau Greenpeace, sa largeur d'esprit en recevant le général Jaruzelski à Paris, sa prudence en établissant le scrutin proportionnel, et diverses autres merveilles. Moyennant quoi, le peuple ingrat l'à mise à la porte l'année suivante. La rose, que le parti socialiste avait prise pour emblème, est devenue un spectre, comme dans les célèbres ballets russes. Cela ne l'empêche pas de danser toujours sur la musique de l'Invitation à la valse.
Comment arrive-t-on à se faire aimer et détester sans mesure ? La recette est simple : il suffit, sur tous les sujets, de dire ce que l'on pense, d'être absolument sincère, de rester, en dépit des modes et des terrorismes, étroitement fidèle à soi-même.
Depuis 1970 Dutourd écrit chaque semaine, dans France Soir une lettre à un million de personnes. Son originalité consiste à l'écrire comme s'il s'adressait à un ami intime avec lequel on ne se gêne pas, auquel on dit tout sans précaution et sans ménagement. C'est un ton unique dans la presse française où l'on prend en général beaucoup de précautions et de ménagements pour dire des choses insignifiantes.
Pour des centaines de milliers de lecteurs, le nom de Dutourd est synonyme d'irrespect, de liberté d'esprit et même, tant le monde est devenu craintif, de courage.
On dit que le journalisme mène à tout à condition d'en sortir. Il peut mener aussi, quand on y reste, à être un moraliste, un pamphlétaire, un philosphe. Même les gens qui n'aiment pas Dutourd ne peuvent pas dire qu'il soit ennuyeux.
A travers l'histoire de jeunes gens, chercheurs au CNRS et écrivains, c'est une radioscopie du temps présent que propose l'auteur du«Bon beurre».
Rosine est un bandit célèbre, le gangster le plus recherché de France. Il a plusieurs fausses identités, « le Canaque », « Tonio la Seringue » ou « Monsieur de Saint-Pons ». Il a aussi plusieurs planques, des complices dévoués et une maîtresse, Jeannette, qui se fait appeler « Sandra ».
L'éditeur Marcoussis, flairant le gros coup (un nouveau Papillon), décide de publier l% Mémoires de Rosine. Comment approcher le truand? Premier faux pas : Marcoussis annonce qu'il fournira un nègre. Le tueur en est ulcéré.
Un certain Boukhary arrangera les choses. C'est un « réfugié artistique », natif d'Europe centrale, qui s'est fait un nom dans la peinture d'avant-garde en peignant des robinets.-Marcoussis l'invite à déjeuner. L'homme a l'idée d'un intermédiaire: Rouquette, ancien compagnon de route des rebelles algériens. Il n'y a pas de plus grand bonheur pour un romancier que de peindre la société qui l'entoure, surtout quand elle ne ressemble pas à celle qui l'a précédée. Les bandits d'aujourd'hui sont différents de ceux de 1900, encore plus de ceux que Balzac a décrits. Ils sont représentatifs d'un nouvel ordre (ou d'un nouveau désordre), aussi bien que le millionnaire, l'affairiste, le député, le P.-D.G., la femme de ménage antillaise.
Le bandit qui est le héros de ce livre a, comme tous les Français, des prétentions littéraires. On conviendra que c'est un sujet de roman assez rare que les rapports d'un assassin homme de lettres avec un éditeur parisien.
A travers une suite de chroniques intelligentes et passionnées, l'auteur nous fait partager son bonheur de parler littérature.