FAIRE CONFIANCE, ON FAIT CELA TOUS LES JOURS.
PAS UNE INTERACTION SOCIALE NE POURRAIT AVOIR LIEU SANS UN MINIMUM DE CONFIANCE. Pendant l'épidémie de coronavirus qui gagna notre planète au printemps 2020, aucun concept philosophique ne fut davantage mobilisé : confi ance dans les institutions, dans le gouvernement, dans le personnel sanitaire, dans les experts virologues et... les uns envers les autres. Tout se passait comme si le virus avait mis à nu le lien invisible qui tenait notre monde ensemble.
Et c'est justement une chose qui intrigue : qu'elle soit si omniprésente dans nos interactions sociales, et que les théoriciens de la société se soient si peu attachés à la défi nir. Élaborer une théorie unifi ée de la confi ance est pourtant loin d'être un exercice purement académique : il en va de la réalité humaine elle-même. Car la confi ance est non seulement la force de liaison élémentaire qui nous lie les uns aux autres, mais le coeur de notre rapport au monde en général : au début est la confi ance.
Les modes de vie sont ce qui nous aff ectent le plus, et pourtant ils sont hors de notre contrôle. Il y a là un paradoxe démocratique : nous, individus réputés libres et démocratiques, sommes dans les fers des modes de vie. Ceux-ci nous imposent en eff et des attentes de comportement durables (avoir un travail, être consommateur, s'intégrer au monde technologique, au monde administratif, au monde économique,.) auxquels nous devons globalement nous adapter.
Ce paradoxe est renforcé par un paradoxe éthique : c'est au moment où l'on assiste à une véritable infl ation éthique, par la multiplication des comités, chartes, conseils, règlements, labels éthiques en tout genre, tous censés protéger les droits individuels, que le modes de vie de plus en plus contraignants étendent comme jamais leur emprise sur les individus. Ce qui veut dire que toute cette infl ation éthique sert à blanchir le système et les modes de vie qui en découlent, qui peuvent ainsi étendre toute leur emprise en étant éthiquement « clean ».
Notre éthique ne sert donc pas à critiquer le système ni les modes de vie, mais à les accompagner dans leur marche triomphale. A travers les modes de vie, avec la complicité de l'éthique individualiste, le système s'impose de manière aveugle, non concertée, non voulue, non planifi ée, et pour cela inéluctable.
Axel Honneth est mondialement connu pour sa théorie de la reconnaissance. Mais il se trouve que dans son dernier livre (Der Geist der Freiheit ; L'esprit de la liberté, à paraître en français chez Gallimard début 2015), Honneth opère ce qui paraît être un tournant dans sa pensée, en mettant l'accent non plus tant sur la reconnaissance que sur la liberté, et en particulier sur la manière dont les institutions peuvent réellement augmenter la liberté des individus.
Faut-il donc désormais parler d'un Honneth I (celui de la reconnaissance), et d'un Honneth II (celui de la liberté) ? On peut légitimement se poser la question, et c'est ce lien qui est interrogé dans ce petit livre, le premier en français qui prenne en compte Der Geist der Freiheit (livre qui a près de 600 pages). L'introduction tente une interprétation originale du passage de Honneth I à Honneth II. Ensuite, 8 chercheurs du centre Europé de Louvain ont interrogé Axel Honneth lui-même, qui pour répondre a rédigé pour ce livre un texte original