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Penser le baptême de Clovis avec les catégories qui sont les nôtres et voir dans cet épisode la naissance d'une France tout entière catholique dès le VIe siècle, c'est commettre un anachronisme majeur. En 496 _ ou 498, voire, plus vraisemblablement, en 499 _, aucune nation n'émerge des ruines de la romanité, et la conversion du roi et de sa garde personnelle n'entraîne pas celle d'une Gaule qui reste pour longtemps religieusement et ethniquement bigarrée et dépasse largement le cadre de la France actuelle.
Le baptême de Reims _ au demeurant sincère et précédé d'une longue réflexion personnelle _ est néanmoins capital parce qu'il met un terme à un siècle de désordres et d'invasions, alors que l'unité romaine est rompue. En faisant le choix du catholicisme qui prend la suite de l'universalisme romain, et non celui de l'arianisme, religion de tous les autres rois barbares, Clovis rejette la confusion du spirituel et du temporel; en faisant fusionner les coutumes barbares et le droit romain, il combat les particularismes et permet l'intégration, à égalité, des nouveaux venus. En tournant le dos aux croyances et aux pratiques germaniques (solidarités lignagères, vendettas, ségrégation selon le sang, coutumes juridiques reposant sur la force), ce général de l'armée romaine fonde un ordre politique sauvegardant ce que Rome avait de meilleur et infuse un sang neuf à l'élite gallo-romaine.
Le roi des Francs Saliens, installés au sud de l'actuelle Belgique, n'était au début qu'un roitelet régnant sur une tribu germanique aussi pauvre en hommes qu'en biens et ne pouvait se prévaloir de l'ascendance prestigieuse du roi des Ostrogoths ou de celui des Burgondes. Plus qu'à sa naissance et à sa puissance, il dut alors, pour compenser ces faiblesses, corriger ses erreurs et réparer ses défaites, s'en remettre à son habileté et tirer profit des liens noués depuis longtemps par sa famille avec les Gallo-Romains. Il eut aussi le réalisme de faire alliance avec quelques-unes des grandes figures religieuses du temps (Remi de Reims, Avit de Vienne et autres moines et évêques promoteurs d'un christianisme rénové) et de solliciter l'aide de deux femmes d'une envergure exceptionnelle _ et celles-ci occupaient dans le monde germanique une place prééminente _: Geneviève, chef spirituel et politique d'une cité à la valeur stratégique et symbolique considérable, Paris; Clotilde, princesse burgonde qui devint sa femme et le rattacha aux plus illustres dynasties des nouveaux royaumes.
Tout inachevée qu'elle fût à sa mort (511), son oeuvre fut décisive. Certes, il fallut après lui des siècles pour parfaire, non sans rechutes, sa construction politique, mais c'est bien de lui que procède la physionomie de l'Europe aujourd'hui.
Michel Rouche, professeur à l'université de Paris IV-Sorbonne, est spécialiste de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age.
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Aux ive et ve siècles, l'empire d'Orient et d'Occident a connu d'innombrables incursions, agressions, invasions de « Barbares » qui ont profondément bouleversé la « civilisation romaine » du point de vue culturel, politique, militaire et même religieux. Mais tout cela fut peu de chose comparé à la terreur, aux dégâts matériels et moraux infligés par les Huns. Issus des confins de la Chine, ils s'agrégèrent en Europe orientale - Ukraine, Carpates, régions danubiennes... - à des tribus d'autres origines ethniques qu'eux, des Germaniques, pour constituer une force de frappe terrifiante : ne leur enseignèrent-ils pas à se servir du cheval de guerre et de l'arc à double courbure, véritables armes absolues ?
Attila, leur roi, ne correspondait guère à la calomnie qui a fait de lui une brute doublée d'un analphabète sanguinaire (de l'herbe qui ne repoussait pas après le passage de ses cavaliers à la viande cuite sous la selle tandis qu'il chevauchait) ni à la diabolisation qui a toujours cours aujourd'hui. Ennemi des plus coriaces, il menaça Rome comme Constantinople (les deux pôles de la puissance romaine), Paris, Orléans, Milan, faisant naître contre lui des
coalitions inattendues sinon contre nature (celle par exemple du général romain Aetius avec le roi des Wisigoths, « barbare » entre les barbares). En presque deux décennies (v. 434-453), cet homme qui a vécu moins de soixante ans a marqué l'Histoire pour toujours.
Il était bien temps qu'avec l'oeil exercé de l'historien Michel Rouche relise et, au besoin, réinterprète des textes longtemps mal lus et surtout dépourvus des lumières fournies par l'archéologie. L'auteur de Clovis - un grand best-seller d'histoire de ces dernières années - a repris le sujet dans sa totalité. Sous sa plume, l'un des grands conquérants de l'humanité retrouve une vigueur que le mythe avait effacée.
Professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, Michel Rouche est spécialiste de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age. De sa thèse sur l'Aquitaine wisigothique à son Clovis (Fayard, 1996), il a consacré à peu près toute son oeuvre à cette époque. -
Les racines de l'Europe ; les sociétés du haut moyen âge (568-888)
Michel Rouche
- Fayard
- Le Cours De L'histoire
- 26 Novembre 2003
- 9782213615523
Vouloir dépeindre toutes les sociétés qui parsemaient l?ancien Empire romain d?Occident, en y ajoutant l?Irlande et la Scandinavie qui ne virent jamais un seul légionnaire, depuis l?invasion des Lombards en 568 jusqu?à celle des Vikings à la fin du ixe siècle relève du tour de force. Cet ouvrage analyse donc la juxtaposition de sociétés païennes encore tribales à côté ou dans des sociétés chrétiennes avec ou sans Etat. Le rapport du religieux au social et du politique au social permet d?expliquer qu?à travers quatre siècles ces sociétés ont été continuellement en mouvement, connaissant, ici, des phases de progrès, là, des phases de régression.Il fallait ainsi faire le tour de ces sociétés avant d?en venir au royaume des Francs en sa première création sociale, celle des Mérovingiens, puis en son second essai, celui des Carolingiens, qui s?est voulu un retour à la Rome antique et à son empire. Ainsi passe-t-on insensiblement, d?une unité perdue, par des différences prononcées telles que l?échec espagnol, la réussite lombarde, la difficile affirmation anglo-saxonne, la supériorité navale scandinave, pour aboutir à ce pôle carolingien. Il attire à lui, par sa synthèse originale et ses liens sociaux, romains, germaniques et chrétiens, toutes les autres sociétés. Une chrétienté sacrale fera naître les racines de l?Europe. Comment y est-elle parvenue ?