«J'allais jouer l'amour, pour qu'il lui fasse un mal fou, qu'il ne la quitte pas une seconde, qu'il l'envahisse la nuit, le jour, et qu'elle ne puisse plus faire un geste sans penser à mon amour pour elle. Je savais, au fond de moi, que c'était la seule solution pour parvenir à la retenir.»Agathe a onze ans. Elle passe l'été sur une plage de la Côte d'Azur avec sa mère. Ces vacances improvisées, débutées avant la fin de l'année scolaire, déboussolent l'enfant. Surtout lorsque les joyeux bains de mer laissent place aux réprimandes et aux scandales dans les restaurants. Agathe devine que quelque chose cloche chez cette mère adorée qui enchante les moments autant qu'elle les détruit. Mais ce n'est que des années plus tard, en déroulant le souvenir à vif de ces jours pleins de bruit et de fureur, qu'elle comprendra en¿n.
«D'accord» : c'est peut-être le mot que Juliette dit le plus souvent, par fatigue, lâcheté ou absence d'à-propos. Mais certains soirs, tard, après avoir improvisé une danse dans son salon pour chasser les contrariétés de la journée, elle est capable d'envoyer des mails incendiaires ou insensés pour rectifier la situation. Oui, c'est le genre de fille accommodante, avec ses proches, son ex-mari un brin narquois, son adolescente de fille, son trop parfait collègue de travail. Avec ceux à qui elle tient inlassablement la porte dans le métro ou ceux qu'elle laisse passer indéfiniment devant elle à la caisse du supermarché. Jusqu'au moment où elle dit non. Un immense « non » libérateur, lancé à la figure de ceux qui ne doutent jamais d'eux, qui tiennent à jouer le premier rôle dans leur comédie sociale. Au fil de courts chapitres commençant tous par « Je suis le genre de fille », Nathalie Kuperman livre une comédie sur les apparences et les non-dits et, en guerrière discrète mais tenace, s'attache à démasquer ce que Nathalie Sarraute appelait «les innombrables petits crimes» que les paroles des autres provoquent en nous.
« Cela faisait maintenant une année entière que nous étions à vendre.
Nous avions peur de n'intéresser personne, peur du plan social. On attendait le grand jour, le jour des pleurs, des adieux, et peut-être éprouvions-nous quelque plaisir à rendre poignantes, par avance, ces heures où nos vies basculeraient, où nous serions tous dans le même bateau, agrippés les uns aux autres avant de nous quitter pour toujours. Et puis, un jour, alors que nos habitudes avaient repris le dessus et que nous continuions à travailler comme si rien ne devait advenir, on nous a réunis pour nous annoncer qu'un acquéreur potentiel était en pourparlers.
Des sourires se sont peints, des grimaces aussi. Nous avions cessé d'y croire. Retourner à l'espoir n'était pas chose simple. » Ils étaient des êtres vivants, ils se retrouvent soudain au bord du néant social. Nathalie Kuperman fait entendre, non sans humour ni colère, leurs voix intérieures, ponctuées en basse continue par le choeur des salariés : un chant de notre époque.
«Moi, écrire un éloge de la haine ? Impossible ! La haine, le mot même me fait froid dans le dos. Pourquoi alors n'ai-je pas proposé de parler de l'amour lorsque l'on m'a demandé de participer à l'aventure des Petits éloges ? Parce que, peut-être, je n'avais rien à en dire. La haine, j'ai essayé. Ça a donné : Un clochard qui pousse au crime, une souris qui sépare un couple, des peluches qui détruisent des enfants, une radio qui provoque des gifles, un papier peint qui effraie, une jupe qui mène à la déchéance, un chef qui perd le contrôle, une phrase atrocement vulgaire qui permet de continuer à vivre... Petit éloge de l'écriture de la haine serait un titre plus approprié, me suis-je dit pour me rassurer.»
'Martine pleure devant la tombe de sa mère. Son visage est boursouflé. Elle a grossi, elle est vêtue de noir, mais l'effet n'est pas chic. Elle porte un pantalon flasque et un pull qui dégouline jusqu'à mi-cuisses. Cela fait peut-être trente ans que je ne l'ai pas vue. On m'avait prévenue, elle a changé. On m'avait prévenue, tu ne la reconnaîtras pas. On m'avait prévenue comme si j'étais un être fragile à qui il fallait éviter les chocs.' En retrouvant des années plus tard une cousine perdue de vue, la narratrice se trouve plongée dans un univers qui l'effraie et la fascine jusqu'au vertige. Les personnages de ce nouveau roman de Nathalie Kuperman sont impressionnants de brutalité, presque de sauvagerie, et pourtant bouleversants de franchise, d'humanité blessée.
«Voilà, j'avais une femme de ménage. L'idée d'une femme de ménage m'était venue soudainement, brutalement est un terme plus juste, c'était brutal : il manquait quelqu'un d'essentiel dans ma vie. Marta, ma grand-mère, n'avait jamais eu de femme de ménage, Isabelle, ma mère, n'avait jamais eu de femme de ménage, c'était de famille, pas de femme de ménage. On évitait les soucis. La vie facile, ce n'était pas très bien vu chez nous.» Sandra engage une femme de ménage. Marta entre dans sa maison et le désordre s'installe.
Mick Jagger, sur le point de se réveiller, va rejoindre Nathalie dans la cuisine où elle l'attend.
Cette scène, l'a-t-elle vraiment vécue ? Ou bien n'est-ce qu'une image inventée fixée à jamais dans son esprit ? Entre l'adolescente fantasque et l'écrivain qui tente de mettre de l'ordre dans son passé, il y a ce personnage clé, Mick Jagger, comme la pièce manquante d'un puzzle inlassablement recommencé.
Reprenant la trame du Contretemps , son premier récit écrit il y a vingt ans, Nathalie Kuperman revisite avec perspicacité et distance les méandres d'une histoire d'amour qui fi nit mal.
Un homme et une femme, l'ajustement de leurs corps, les caramboles de leurs coeurs, l'attachement dans le quotidien, les mensonges, la vie en marge de la vie, la perte des repères, l'alcool pour s'aimer, se donner du courage... Rien que de très cruel en somme dans cette romance contemporaine qui rappelle souvent l'univers des Choses de Georges Pérec. L'écriture à la fois douce et tranchante de Nathalie Kuperman, le découpage net de son récit en tableaux, la lucide analyse de cette passion qui court à la déraison nous plongent jusqu'au vertige au sein d'un jeu amoureux implacable.
«Votre fille, c'est une catastrophe.» C'est ce que dit la maîtresse à une mère un matin devant l'école. La phrase fait son chemin dans l'esprit fragile de Sophie et la renvoie à une douleur ancienne, également d'origine scolaire. Ressurgissant au contact du mot «catastrophe», cet événement traumatique entraîne toutes sortes de perturbations dans sa vie, y compris dans son travail. Chargée de rédiger des notices pour appareils ménagers, elle laisse affleurer ses angoisses dans les modes d'emploi qui deviennent de plus en plus loufoques...
La loi sauvage est une descente en spirale dans l'univers mental d'une mère aux prises avec la vie scolaire de sa fille, mais aussi avec sa vie quotidienne, sentimentale et professionnelle. L'amour maternel est ici décrit, avec l'originalité et l'humour propres à l'auteur, à la fois comme un recours salutaire et une passion toxique.
" Tu es jolie, tu sais.
Mais tu le sais que tu es jolie. " C'est la première fois qu'on me dit ça. Alors, j'ai envie de l'entendre encore. C'est pour ces mots que je le suis quand il me propose un tour en voiture, et j'oublie que c'est l'horrible homme hérisson. Il s'appelle Jean-Pierre. Je lui dis comment je m'appelle : Cyrille. Il aime bien. Il ne dit pas que c'est un prénom de garçon. Dans la voiture, il met de la musique. A cet instant, je comprends presque comment ma mère a pu.
Il me demande s'il y a un endroit où il peut me déposer. Déjà ? Je prends l'air étonné. Il arrête sa voiture, se tourne vers moi et me dit : " Ce n'est pas très beau ce que tu es en train de faire. - Je fais quelque chose de mal ? - Tu sais bien. " Cyrille a quatorze ans et habite avec sa mère. Elle n'aime pas lire, se cache pour faire des prières et s'évanouit. La vie est tragique, mais personne ne s'en rend compte.
«Je prends la tête de Pierre entre mes mains, je lui prends les oreilles et le nez en lui demandant des trucs idiots : - Fais le chat, fais le gendarme avec l'accent du Midi, fais le mignon, s'il te plaît, vas-y, fais-le !Mais Pierre ne peut pas faire ici, en prison, ces choses de notre vie.Alors, j'apprends à le toucher avec mon stylo, d'une manière très pudique car je crains la censure du courrier. La censure est aussi le prétexte qui me permet d'éviter de lui écrire l'amour physique.J'apprends à ne plus désirer Pierre.»