«Cette princesse d'Harcourt fut une sorte de personnage qu'il est bon de faire connaître, pour faire connaître plus particulièrement une cour qui ne laissait pas d'en recevoir de pareils. Elle avait été fort belle et galante ; quoiqu'elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s'étaient tournées en gratte-cul. C'était alors une grande et grosse créature fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement sale, malpropre ; toujours intriguant, prétendant, entreprenant ; toujours querellant, et toujours basse comme l'herbe, ou sur l'arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire. C'était une furie blonde, et de plus une harpie...»
Dans ce deuxième volume, de nouveaux textes extraits des Mémoires sont regroupés selon un ordre thématique : personnages et figurants, anecdotes, conceptions et action de Saint-Simon politique. Une dernière partie de l'ouvrage, qui sera pour beaucoup de lecteurs une révélation, donne les «textes hors Mémoires» : les projets de gouvernement du duc de Bourgogne, dauphin, la magnifique et longue «lettre anonyme au Roi» (1712) sur les malheurs du règne, divers «personnages et anecdotes» par l'auteur, une «postface testamentaire» (août 1753). Un excellent appareil critique complète ces textes, en faisant revivre toute l'histoire de Louis XIV et de la Régence. On aura ainsi un Saint-Simon essentiel : varié, concret ou abstrait, portraitiste ou philosophe, mais toujours merveilleux écrivain.
«Vous allez voir un roi dans la tombe et un autre dans le berceau. Souvenez-vous toujours de la mémoire de l'un et des intérêts de l'autre.» C'est Louis XIV qui prononce, malade, cette phrase à l'intention de Philippe d'Orléans, son neveu, le futur Régent. Il ne lui reste plus que quelques jours à vivre. Six jours et six nuits de souffrances, d'activité testamentaire, de face-à-face chrétien avec sa propre fin. Nous sommes en août 1715, année considérable pour l'histoire de la France puisqu'elle voit mourir Louis XIV le 1?? septembre, «trois jours avant qu'il eût soixante-dix-sept ans accomplis, dans la soixante-douzième année de son règne», écrit Saint-Simon au coeur ténébreux de ses Mémoires, achevant sur ces mots le récit de la maladie et de l'agonie d'un roi, le plus grand de son temps, dont la vie se confond quasiment avec le règne.
Fils de duc et pair, filleul de Louis XIV et de la reine, le jeune Louis de Saint-Simon entre très vite dans la carrière militaire habituelle aux aristocrates, mais quitte l'armée dès 1702. Il a vingt-sept ans : son champ de bataille sera désormais la cour, son spectacle et ses coulisses. Durant la Régence, il participera au pouvoir comme ministre d'Etat, puis deviendra ambassadeur, avant de se retirer sur ses terres. Il se consacre alors pleinement à l'oeuvre de sa vie : ses Mémoires, dont il a commencé très jeune la rédaction. Si, dès 1699, il s'est adressé à l'abbé de Rancé pour avoir son assentiment, c'est qu'il se fixe pour tâche d'y livrer toute la vérité et, partant, de n'y ménager personne, tout en voulant demeurer en paix avec sa conscience.
Ce vaste chantier très tôt ouvert, ce n'est qu'à soixante-quatre ans qu'il en entreprend l'ultime version que nous connaissons et qui ne sera intégralement publiée que bien après sa mort, vers 1830. Dans ces innombrables pages dont le présent volume ne retient qu'environ le sixième, le duc démontre, raconte, fulmine, pour servir à l'histoire du règne de Louis XIV et de la Régence, mais aussi pour épancher sa colère face au devenir médiocre du monde. Et il le fait dans une langue d'une virtuosité admirable qui joue sur tous les registres, ici enjouée, là grandiose, et riche de singulières fulgurances. « Il n'y a que trois styles, diront les Goncourt : la Bible, les Latins et Saint-Simon. »
«Cette princesse d'Harcourt fut une sorte de personnage qu'il est bon de faire connaître, pour faire connaître plus particulièrement une cour qui ne laissait pas d'en recevoir de pareils. Elle avait été fort belle et galante ; quoiqu'elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s'étaient tournées en gratte-cul. C'était alors une grande et grosse créature fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement sale, malpropre ; toujours intriguant, prétendant, entreprenant ; toujours querellant, et toujours basse comme l'herbe, ou sur l'arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire. C'était une furie blonde, et de plus une harpie...»
Les observations les plus méchamment drôles du plus méchant des mémorialistes sur la cour de Louis XIV : des saillies en forme de portraits, véritables miniatures de personnages qui pourraient être de fiction, réunies par un auteur qui chez Payot s'est déjà frotté à l'humour avec ses traductions de Nancy Mitford et Deborah Devonshire.
Mémoires (extraits) Lire Saint-Simon aujourd'hui c'est avant tout voir en lui, à l'instar de Proust, l'écrivain capable de ressusciter sous nos yeux un monde étrange ; c'est se plonger dans un témoignage dont le manque d'exactitude est compensé par la magie de l'atmosphère ; c'est y chercher, plutôt que des renseignements historiques, l'esprit d'un siècle, et le bonheur d'une langue éblouissante.
Présentation . De l'homme de cour à l'homme de plume . L'histoire selon Saint-Simon . Une esthétique de la variété . Ecrire, rêver Dossier 1. Le genre des Mémoires 2. Aux sources des Mémoires 3. L'art du portrait 4. Saint-Simon peintre du Roi 5. Lectures des Mémoires Chronologie, notes, répertoire et lexique par Delphine de Garidel
Suivi de Lettre anonyme au Roi et oeuvres diverses
«Le duc de Saint-Simon a commencé ses Mémoires à l'âge de dix-neuf ans et n'a pour ainsi dire travaillé qu'à cela tous les jours de son existence, qui fut longue.
Aussi ces Mémoires sont-ils bien autre chose que des souvenirs ou la chronique de deux règnes. C'est une espèce de roman, énorme, concerté, composé, avec des décors et des péripéties, des héros et des personnages de second plan, des passions, des entreprises, de la psychologie (et quelle!), une philosophie et un style. On peut parler de l'"univers de Saint-Simon" comme on parle de l'univers de Balzac ou de Dickens.
C'est un univers artistique, c'est-à-dire plein de cette vérité qui ressort si rarement lorsqu'on étudie l'histoire, mais que l'on rencontre chez les grands romanciers. Saint-Simon analyse les hommes vivants de la même façon que Dostoïevski, Proust, Fielding, développent leurs personnages : même audace, même absence de préjugés, même amour du vrai. Il décrit son duc de Noailles comme Proust son duc de Guermantes.
Un tel don d'observation ressemble tant au don créateur qu'on se demande si la seule différence entre Saint-Simon et un romancier authentique ne réside pas dans le fail qu'il présente ses personnages sous leur nom véritable. C'est un romancier qui ne "transpose" pas.
Sainte-Beuve termine l'article qu'il consacre à Saint-Simon, dans ses Causeries du Lundi, en plaçant "ce duc et pair dont on souriait alors entre Molière et Bossuet". Nous autres, lecteurs du XXe siècle, nous allons plus loin. Nous le plaçons sur le même rang que Stendhal, Balzac et Proust. Il est, pour nous, le quatrième grand romancier de notre langue.» Jean Dutourd.
Il s'agit ici de quelques chapitres extraits des Mémoires qui traitent du caractère de Louis XIV, de ses amours (Saint-Simon nous dresse notamment un savoureux portrait de "La Maintenon") et de son goût pour le faste et la magnificience. Au passage, nous voyons se dérouler devant nous, dans le faste et la splendeur, une journée type de l'époque : de la toilette aux habitudes vestimentaires, des coutumes alimentaires au protocole, de la prière individuelle au déroulement des messes célébrées au château, des audiences et des conseils, de l'éducation des enfants aux rendezvous intimes, de la chasse et des promenades aux fêtes et aux jeux, des cadeaux et des bijoux... comme si nous y étions !
Nul ne contestera le régal que constitue la redécouverte de ce tableau de moeurs au style évidemment parfait.
Il est difficile, pratiquement, de lire les 9000 pages des Mémoires de Saint-Simon, d'autant que tout n'est pas d'un intérêt égal et que les passages les moins intéressants, rapportant des événements adventices, font perdre le fil des intrigues qui font la vie de ces Mémoires. Les anthologies actuellement existantes font, elles, disparaître ce fil parce qu'elles ne sont que de simples agrégats de scènes et de portraits qu'on lit indépendamment les uns des autres et auxquels manquent, par conséquent, ce qui les a précédés et les explique ainsi que la tension provoquée par l'attente de ce qui va suivre.
Cette édition, grâce à son ampleur, permet de lire les Mémoires de Saint-Simon comme un roman, d'une manière suivie et quasi-continue, et de remplir le but de son auteur : «mettre son lecteur au milieu de tout ce qu'il raconte, en sorte qu'il croit moins lire une histoire ou des mémoires qu'être lui-même dans le secret de tout ce qui lui est représenté et spectateur de tout ce qui lui est raconté».
" Il faut encore le dire.
L'esprit du roi était au-dessous du médiocre, mais très capable de se former. Il aima la gloire, il voulut l'ordre et la règle. Il était né sage, modéré, secret, maître de ses mouvements et de sa langue ; le croira-t-on ? Il était né bon et juste, et Dieu lui en avait donné assez pour être un bon roi, et peut-être même un assez grand roi. [...] Les louanges, disons mieux, la flatterie lui plaisait à tel point, que les plus grossières étaient bien reçues, les plus basses encore mieux savourées.
[...] C'est ce qui donna tant d'autorité à ses ministres, par les occasions continuelles qu'ils avaient de l'encenser, surtout de lui attribuer toutes choses, et de les avoir apprises de lui. La souplesse, la bassesse, l'air admirant, dépendant, rampant, plus que tout l'air de néant sinon par lui, étaient les uniques voies de lui plaire. " Saint-Simon. Saint-Simon fut l'un des favoris de la cour de Louis XIV.
Grand seigneur, il eut le privilège de loger à Versailles et d'y observer les intrigues de palais. Durant plus de trente ans, il sera l'historiographe du roi et de la cour. Ses Mémoires ne sont pas une entreprise autobiographique, mais bien une gigantesque fresque historiographique : on y assiste, en spectateur comblé, au défilé impressionnant des courtisans intéressés et aux tableaux vivants des gens de cour.
Chronique critique d'un royaume qui se termine, celui de Louis XIV, dressant la longue liste des protagonistes:héritiers, familiers, maîtresses, tous comparaissent au tribunal de l'écrivain, tantôt flétris, tantôt blanchis, toujours jugés.
Au-delà de leur sujet propre, tous les textes réunis dans ce livre posent, avec anxiété, la question de l'avenir de la monarchie. Horrifié par les secousses du «kaléidoscope social», persuadé que la tradition prime le droit fondé sur la raison, nostalgique d'un ancien monde à demi fabuleux, Saint-Simon choisit le révolu contre les révolutions. Et quand il se heurte au temps et aux réalités, il lui reste la dimension de la négativité et de la subversion. Son mépris de ce qui passe (le «néant du monde») paraît-il mal accordé à son amour (ou à sa rage) des grandeurs temporelles ? «Dans un baiser de pair, il sent le souffle de l'infini», écrit Yves Coirault : tout signe s'inscrit dans l'orbe d'un mythe plus ou moins transhistorique censé gouverner l'histoire. Il nous est facile, à nous qui savons que la monarchie ne survécut pas quarante ans à Saint-Simon, de parler de la vanité de ses luttes.
Le moins inutile des combats que ce livre met en lumière aura été celui du style, de cette écriture qui étonna la langue française. Ce qu'on propose ici, c'est un raccourci d'univers dont la première vertu serait de rendre moins impalpable le génie de la création.
Il est difficile, pratiquement, de lire les 9000 pages des Mémoires de Saint-Simon, d'autant que tout n'est pas d'un intérêt égal et que les passages les moins intéressants, rapportant des événements adventices, font perdre le fil des intrigues qui font la vie de ces Mémoires - l'évolution des rapports du duc d'Orléans et de Louis XIV, les manoeuvres de Mme de Maintenon, l'ascension et la chute des bâtards du roi, etc. Les anthologies actuellement existantes font, elles, disparaître ce fil parce qu'elles ne sont que de simples agrégats de scènes et de portraits qu'on lit indépendamment les uns des autres et auxquels manquent, par conséquent, ce qui les a précédés et les explique ainsi que la tension provoquée par l'attente de ce qui va suivre.
Cette édition, grâce à son ampleur, permet de lire les Mémoires de Saint-Simon comme un roman, d'une manière suivie et quasi-continue, et de remplir le but de son auteur : <>.