Pour cette nouvelle édition, établie par Yves Coirault, le texte a été soigneusement revu sur le manuscrit. En outre, les Additions au Journal de Dangeau, soigneusement collationnées sur la copie originale, viennent compléter, tome par tome, le texte des Mémoires. Le lecteur pourra ainsi comparer deux états de cette oeuvre dont l'élaboration et la composition restent à bien des égards mystérieuses. D'autres appendices, se rapportant directement au texte de Saint-Simon, sont publiés dans chacun des volumes. Dans l'appareil critique, on n'a retenu qu'un choix des variantes les plus significatives, afin de laisser la plus grande place à l'annotation qui tire parti du profond renouvellement des études historiques de ces dernières années.
«Le duc de Saint-Simon a commencé ses Mémoires à l'âge de dix-neuf ans et n'a pour ainsi dire travaillé qu'à cela tous les jours de son existence, qui fut longue.
Aussi ces Mémoires sont-ils bien autre chose que des souvenirs ou la chronique de deux règnes. C'est une espèce de roman, énorme, concerté, composé, avec des décors et des péripéties, des héros et des personnages de second plan, des passions, des entreprises, de la psychologie (et quelle!), une philosophie et un style. On peut parler de l'"univers de Saint-Simon" comme on parle de l'univers de Balzac ou de Dickens.
C'est un univers artistique, c'est-à-dire plein de cette vérité qui ressort si rarement lorsqu'on étudie l'histoire, mais que l'on rencontre chez les grands romanciers. Saint-Simon analyse les hommes vivants de la même façon que Dostoïevski, Proust, Fielding, développent leurs personnages : même audace, même absence de préjugés, même amour du vrai. Il décrit son duc de Noailles comme Proust son duc de Guermantes.
Un tel don d'observation ressemble tant au don créateur qu'on se demande si la seule différence entre Saint-Simon et un romancier authentique ne réside pas dans le fail qu'il présente ses personnages sous leur nom véritable. C'est un romancier qui ne "transpose" pas.
Sainte-Beuve termine l'article qu'il consacre à Saint-Simon, dans ses Causeries du Lundi, en plaçant "ce duc et pair dont on souriait alors entre Molière et Bossuet". Nous autres, lecteurs du XXe siècle, nous allons plus loin. Nous le plaçons sur le même rang que Stendhal, Balzac et Proust. Il est, pour nous, le quatrième grand romancier de notre langue.» Jean Dutourd.
Au-delà de leur sujet propre, tous les textes réunis dans ce livre posent, avec anxiété, la question de l'avenir de la monarchie. Horrifié par les secousses du «kaléidoscope social», persuadé que la tradition prime le droit fondé sur la raison, nostalgique d'un ancien monde à demi fabuleux, Saint-Simon choisit le révolu contre les révolutions. Et quand il se heurte au temps et aux réalités, il lui reste la dimension de la négativité et de la subversion. Son mépris de ce qui passe (le «néant du monde») paraît-il mal accordé à son amour (ou à sa rage) des grandeurs temporelles ? «Dans un baiser de pair, il sent le souffle de l'infini», écrit Yves Coirault : tout signe s'inscrit dans l'orbe d'un mythe plus ou moins transhistorique censé gouverner l'histoire. Il nous est facile, à nous qui savons que la monarchie ne survécut pas quarante ans à Saint-Simon, de parler de la vanité de ses luttes. Le moins inutile des combats que ce livre met en lumière aura été celui du style, de cette écriture qui étonna la langue française. Ce qu'on propose ici, c'est un raccourci d'univers dont la première vertu serait de rendre moins impalpable le génie de la création.
Ce volume contient les Mémoires de Saint-Simon de l'année 1707 (depuis «Campagne de Flandres ; paresse dangereuse de Vendôme») à l'année 1710 incluse, les additions au Journal de Dangeau correspondantes et un témoignage inédit sur «Le Mariage du prince de Léon».
Ce volume contient les Mémoires de Saint-Simon, de l'année 1701 (à partir de «L'empereur fait arrêter Rakoszi») à l'année 1707 («Archevêque de Bourges singulièrement nommé au cardinalat par le roi Stanislas»), ainsi que les additions au Journal de Dangeau correspondantes et le Mémoire sur l'«étrange conduite» de Mme de Lussan.
De 1716 à 1718, Voltaire bat le briquet à la Bastille ; M. et Mme du Maine ameutent une prétendue noblesse ; au-delà des Pyrénées, Alberoni joue au Matamore ; et Saint-Simon combat : contre les bâtards qui transforment Paris en «égout des voluptés», contre le Parlement qui se croit en Angleterre, contre les scélérats, les mystères, les prétentions... Il nous donne de la Régence une peinture sans pareille, qui témoigne une fois de plus de sa capacité de sévérité, de finesse et d'émotion. Sur l'abbé Dubois : Alberoni «osait traiter de visionnaire l'abbé Dubois qu'il nommait l'instrument de toutes les mauvaises intentions du Régent. Mais c'était le Régent qui était l'instrument de toutes les mauvaises intentions de l'abbé Dubois [...] qui, sciens et volens, sacrifiait la France, l'Espagne, la réputation de son maître à son ambition de se faire cardinal». Sur Mme de Sabran : «C'est elle qui, soupant avec M. le duc d'Orléans et ses roués, lui dit fort plaisamment que les princes et les laquais avaient été faits de la même pâte, que Dieu avait dans la création séparée de celle dont il avait tiré les autres hommes.» Sur Mme de Castries : «Ce n'était qu'esprit et âme, sans presque de corps ; le sien était petit, et si mince qu'un souffle l'eût renversée [...] C'était une petite poupée manquée, foncièrement savante en tout, sans qu'il y parût jamais, mais pétillante d'esprit, souvent aussi de malice, avec toutes les façons, les grâces, et ce tour et cette sorte d'esprit et d'expressions charmantes et uniques, si vantés et si singulièrement propres aux Mortemarts.» Des lignes qui prennent pour nous une résonance particulière, depuis que Proust, lecteur assidu de Saint-Simon, a décrit «l'esprit Guermantes». Ce tome VI de la nouvelle édition des Mémoires de Saint-Simon contient également les additions au Journal de Dangeau pour les années 1716-1718 et trois appendices : «Requête de MM. les ducs et pairs», «Mémoire en faveur de la liberté du commerce», «Extrait sur le pays de l'alleu».
Le temps est passé des grandes espérances : la Banque de Law tourne les têtes, un «exécrable» nonce entretient le feu de l'Église de France, le venimeux abbé Dubois vend la monarchie des lys à Messieurs les Anglais et la dresse contre l'Espagne de Philippe V, roi Bourbon, ancien duc d'Anjou! Bientôt, ce seront le complot de Cellamare, l'étrange composition d'une duchesse de Berry faisant, entre deux quartiers de dévotion, la fête sous la direction de son amant et de la Mouchy ; puis les débuts prometteurs de la «religieuse Tencin». Et l'on verra, par les yeux du Témoin visionnaire, les robes rouges du Parlement s'égailler sous les frondaisons de Pontoise, et la pourpre cardinalice de Dubois annoncer le règne d'un Fleury, fils de rat-de-cave, et le tunnel des années grises.
Mais, presque au centre du tableau, plus de lumière que jamais, le lyrisme de la haine, le grand flamboiement : «L'insulte, le mépris, le dédain, le triomphe lui furent lancés de mes yeux jusqu'en ses moelles...» Un premier président abattu, tout le Parlement confondu ; bâtard - Titan redevenu (provisoirement) pygmée -, le duc du Maine est enfin réduit à son rang de pairie. L'implacable Saint-Simon, jubilant, fixe la scène pour l'éternité : tous les critiques tiennent la relation du lit de justice du 26 août 1718, épopée de la justice divine et de sa vengeance, pour le chef-d'oeuvre, peinture dans la peinture, d'un artiste de la langue, peut-être ici supérieur à Tacite et, Sainte-Beuve l'avait admirablement compris, supérieur à tout.
Ce volume contient les Mémoires de Saint-Simon de l'année 1714 (depuis «Digression nécessaire en raccourci sur la dignité de pair de France et sur le parlement de Paris et autres parlements») à l'année 1716 (jusqu'à «Intrigues de la cour d'Angleterre»), les additions au Journal de Dangeau correspondantes, et deux autres appendices : «Autre projet de protestation» et «Lettre du duc d'Orléans, régent, au chancelier de Pontchartrain».
Avec la parution du tome VIII des Mémoires de Saint-Simon, cette édition est complète. Elle offre le texte intégral des Mémoires sur plus de huit mille pages et sur deux mille, réparties dans chaque volume, les additions au Journal de Dangeau ; l'appareil critique, aussi nécessaire pour la langue que pour l'histoire, occupe une place importante dans chaque tome. Le dernier volume contient, outre les six cents dernières page s du texte proprement dit, le reliquat des additions au Journal de Dangeau, une note bibliographique, un index général des Mémoires, une table alphabétique des appendices et un tableau de concordance entre la présente édition et les précédentes. Proust disait qu' «une tragédie de Racine, un volume des Mémoires de Saint-Simon ressemblent à de belles choses qui ne se font plus». Au vrai, de même que la langue du petit duc est riche de formes abolies, ses Mémoires sont composés de vestiges d'usages et de façons de sentir qui n'existent plus et à quoi rien de ce qui aujourd'hui existe ne ressemble. Il n'est guère aisé de rendre compte en une définition de tous les aspects de ce livre. Porte-t-il témoignage sur son auteur ? Sur l'Histoire ? Contre l'Histoire peut-être ? Quoi qu'il en soit, il est assurément un fabuleux spectacle, offert par l'auteur à lui-même et, bien plus tard, aux autres : il est le spectacle noir et or du «néant du monde». Qu'on lise, pour s'en assurer, les phrases ultimes de l'oeuvre, où apparaît une dernière fois le motif de l'avilissement de toutes choses, alors même que vient d'être atteint le terme jusqu'auquel l'écrivain s'était proposé de conduire son ouvrage : «On est charmé des gens droits et vrais ; on est irrité contre les fripons dont les cours fourmillent ; on l'est plus encore contre ceux dont on a reçu du mal. Le stoïque est une belle et noble chimère. Je ne me pique donc pas d'impartialité. Je le ferais vainement. Comme je n'en verrai rien, peu m'importe ; mais si ces Mémoires voient jamais le jour, je ne doute pas qu'ils n'excitent une prodigieuse révolte. [...] comme, au temps où j'ai écrit, surtout vers la fin, tout tournait à la décadence, à la confusion, au chaos, qui depuis n'a fait que croître, et que ces Mémoires ne respirent qu'ordre, règle, vérité, principes certains, et montrant à découvert tout ce qui y est contraire, qui règne de plus en plus avec le plus ignorant, mais le plus entier empire, la convulsion doit être générale contre ce miroir de vérité.»
Ce volume contient les Mémoires de Saint-Simon de l'année 1711 jusqu'à l'année 1714 («Noir dessein du duc du Maine») et les additions au Journal de Dangeau correspondantes.