« Ceux qui sont aujourd'hui inquiets ont toutes les raisons de l'être. Non seulement la survie de l'espèce humaine ne va plus de soi, mais l'existence même des êtres vivants sur notre planète est menacée. Quant à la vie humaine comme elle va, chacun sait qu'elle est vécue dans l'opulence par une petite minorité et dans la misère par la plus grande partie de l'humanité. Par le simple effet des échanges marchands, une surhumanité se reproduit, heureuse et fière de vivre " à l'âge de la mondialisation, surplombant une subhumanité privée d'horizon, à qui l'espoir même paraît interdit. [...] Aux inquiets, il manque d'abord de fortes raisons de ne pas désespérer, ensuite et surtout des raisons d'agir, lesquelles se profilent comme des raisons de réagir contre les nouvelles figures du Destin, de résister aux impératifs d'adaptation à ce qui serait un mouvement planétaire inéluctable. Car il n'est pas de résistance ni de révolte souhaitables sans une idée régulatrice de l'humanité ou de la société.
Ce qui se dessine nettement, c'est le système de valeurs et de normes à travers lequel l'idéologie globaliste prend forme. Les nouvelles élites transnationales exigent de tous les individus humains qu'ils " bougent ", qu'ils suivent le mouvement globalisateur, qu'ils accélèrent leur propre mouvement, qu'ils vivent désormais à " l'heure de la mondialisation ". Les normes en sont simples, voire sommaires : consommer toujours plus, communiquer toujours plus rapidement, échanger d'une façon optimalement rentable. L'entrée dans la société " bougiste " planétaire et l'imposition à tous les peuples des valeurs de l'individualisme moderne/occidental (utilitaristes, " compétitivistes ", hédonistes) s'accompagnent d'une réduction de la démocratie au couple formé par les droits de l'homme et le marché libre, sans frontières.
Entre le sujet universel (le genre humain), sujet d'inhérence des droits de l'homme, et la multiplicité des individus idéalement dotés de droits, il n'y a plus rien ou presque, en tout cas, il ne doit rien y avoir. [...] Cette volonté d'éliminer les peuples, les nations et les États souverains est l'attribut principal du sujet mondialisateur et/ou globaliste, celui qui incarne ou représente le nouveau pouvoir polymorphe émergeant à l'échelle planétaire. C'est là priver la démocratie de son champ d'inscription et d'exercice, c'est plus largement abolir l'espace politique.
Le processus de globalisation, toujours suivi par son double symbolique " l'idéologie vaguement messianique et faiblement utopiste du salut par le mouvement technomarchand ", illégitime le politique tandis qu'il légitime absolument le technique/technologique, l'économique et le financier. Le lien social est pulvérisé pour être remplacé par les interactions libre-échangistes.
Cette idéologie, fondée sur une promesse de salut dans et par le mouvement en avant perpétuel, suivant une vitesse accélérée, je l'ai baptisée " bougisme " ou " mouvementisme ". Il s'agit d'un nouveau système du destin : au coeur de la Vulgate émergente, l'on rencontre l'idée d'une évolution technomarchande inéluctable. » Pierre-André Taguieff ne nous avait pas habitué à une écriture pamphlétaire, aussi brève et incisive. En lançant le concept de "bougisme " qui lui semble le plus opérant pour une critique radicale, il s'attaque radicalement au processus dans lequel notre société semble fatalement engagée. Selon lui, il résulte de la dégradation du concept de " progrès ", tel que celui-ci a été opérant tout au long du siècle dernier. Délaissant une analyse très méticuleuse et érudite, celle dans laquelle il a excellé en traitant du racisme, de l'antisémitisme et de la nouvelle droite, il s'en prend à la rhétorique mystificatrice des élites néo-libérales qui masque le passage à une société post-démocratique, remplaçant le citoyen par le consommateur et l'actionnaire.
Résister au bougisme constitue une proposition forte de résistance et de lutte. Contre toute résignation et contre tout défaitisme, Pierre-André Taguieff tente une ouverture optimiste : il " s'efforce d'opérer une reconstruction des fondements et des finalités de l'action politique ". Car selon lui, seule une revitalisation des principes de responsabilité, de préservation et de résistance, au coeur de l'idéal républicain, peut enrayer l'évolution du monde, telle qu'elle s'annonce.
Penseur et philosophe, chercheur en sciences politiques au CNRS, il est, entre autres, l'auteur de L'effacement de l'avenir (Galilée, 2000), Face au Front national (La Découverte, 1998), La Couleur et le Sang (Mille et une nuits, 1998).
A noter : parallèment, il publie chez Librio une histoire de l'idée du progrès : Du progrès.
Insensiblement, depuis la guerre des Six Jours (juin 1967), le " racisme " est devenu le principal thème d'accusation visant les " sionistes " et, au-delà d'eux, les Juifs. C'est autour de l'image d'Israël, diabolisée et criminalisée par tous les moyens de la propagande, que s'est constituée la nouvelle vision antijuive désormais mondialement diffusée. De nouveaux stéréotypes antijuifs assimilant Israël, les Israéliens et les " sionistes " aux " nazis " ont été fabriqués et mis en circulation. L'auteur s'attache ici à examiner les origines et les évolutions de ces différents stéréotypes. Il explique que l'affaire al- Dura a " réveillé " le mythe du meurtre rituel juif en l'adaptant au contexte politico-culturel du troisième millénaire. Le processus de réinvention d'un mythe est relativement bien connu. Sur la base d'accusations mensongères se forment des mensonges historiques qui justifient les haines inexpiables et les massacres à répétition, motivés par le désir de vengeance. Ces mensonges historiques, une fois devenus des mythes, ne meurent pas de mort naturelle. Ils se métamorphosent indéfiniment. Il s'ensuit que le combat pour la vérité doit toujours faire face à une nouvelle version du mythe. Philosophe, politologue et historien des idées, Pierre-André Taguieff, né en 1946, est directeur de recherche au CNRS, rattaché au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF, Paris). Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont La Force du préjugé (1988), Les Fins de l'antiracisme (1995), L'Effacement de l'avenir (2000), La Nouvelle Judéophobie (2002), Le Sens du progrès (2004), Prêcheurs de haine (2004), L'Imaginaire du complot mondial (2006), L'Illusion populiste (2007), La Judéophobie des Modernes (2008).
Ce livre est l'histoire d'une illusion devenue escroquerie : l'idéologie du progrès, ou progressisme.
Il montre comment fut dévoyée une authentique pensée de l'émancipation pour devenir l'alibi d'entreprises politiques parfois criminelles. la grande simplification eut lieu dès le milieu du xixe siècle. où le progressisme se figea en une utopie futuriste et scientiste tournée vers les " lendemains qui chantent ". dès lors. l'idéal de la libération de l'humanité, comme celui d'un bonheur pour tous dans une société plus juste, subit une falsification dévastatrice dont le stalinisme fut le point culminant.
Parallèlement, le progressisme n'a jamais cessé de justifier le productivisme et le culte de la croissance, responsables de la vandalisation de la planète. le terrorisme intellectuel s'exerce aujourd'hui au nom de l'antifascisme, forme faible du progressisme, dans laquelle la visée d'émancipation a été remplacée par la pratique de la dénonciation. lorsque l'antifascisme n'a plus de vrais fascismes à combattre, les campagnes de délation suppléent aux luttes de libération.
Les nouveaux progressistes se contentent de faire la chasse au mal politique, incarné par les " puissants ", les " dominants " et les " réactionnaires ". ils ne prétendent plus " créer l'homme nouveau " ni " changer la vie ", ils se donnent pour seule ambition de barrer la route à la " réaction " ou à la " barbarie " dont le nouveau nom est l'amérique, avec son " impérialisme " et son " libéralisme sauvage ".
Et bien sûr son diabolique allié, le " sionisme international ". leur stock de slogans s'est enrichi de la mise en accusation des " néo-réacs ". un nouveau conformisme s'est installé... renouvelant en profondeur l'histoire des idées politiques, cet essai met au jour d'étranges filiations entre les totalitarismes d'hier et les pseudorésistances d'aujourd'hui.
L'Auteur :
Pierre-André Taguieff est historien des idées, philosophe, politologue, directeur de recherche au CNRS (Cevipof) et professeur à l'Institut d'études politiques. On lui doit récemment Résister au bougisme (Mille et une nuits, mai 2001).
Le livre :
Il serait dramatique, et éminemment regrettable, qu'aucune voix ne s'élève aujourd'hui pour dénoncer « l'antisémitisme », dont les manifestations spectaculaires se sont multipliées au cours des deux dernières années - sans que les médias ne leur accordent la moindre place, à quelques exceptions près, - au moment même où se produit une très forte résurgence.
Pierre-André Taguieff nous alerte sur cette seconde vague, post-nazie, ayant pris une forme tout à fait nouvelle : héritière des arguments traditionnels de l'antisémitisme, elle allie antisionisme et processus d'islamisation. Il la nomme nouvelle judéophobie.
Ses expressions les plus récentes : en France, la multiplication des actes déliquants contre des synagogues, mais aussi les insultes et menaces adressées à des familles juives installées en banlieue, et tout récemment, un certain match de football France-Algérie ; au niveau international, la conférence de Durban, à la fin du mois d'août 2001, au cours de laquelle se jouèrent des pressions énormes pour stigmatiser et exclure les organisations israéliennes et juives ; et puis, les déclarations d'Oussama ben Laden depuis le 11 septembre.
Dans le nouveau contexte géopolitique qui s'est brutalement dessiné, les intellectuels et la presse français restent curieusement muets, comme pétrifiés. Ils sont pris entre les thématiques de la victimisation sociologique des jeunes de banlieue et la dénonciation du fanatisme islamique. Pourtant, il est urgent de refuser intolérance et fanatisme, de décrire une évolution inquiétante très précisément, et de dénoncer toute pensée « amalgamante ».
Le livre est né d'une communication donnée par l'auteur au Sénat lors du colloque « Les nouveaux visages de l'antisémitisme », le 14 octobre 2001.
La grande promesse des Lumières, c'était celle du passage à l'autonomie de tous les humains, en tant qu'êtres raisonnables poursuivant des fins communes.
En se chargeant de significations imaginaires, le futur, forme vide du temps abstrait, se donnait comme avenir, à la fois explorable comme un champ de possibles et désirable comme un ensemble de promesses. Le programme progressiste était censé se réaliser dans le temps de l'histoire, finalisé par la liberté, la rationalité et le bonheur universellement partagés. En guise d'autonomie, c'est l'anomie qui s'est partout installée.
Avec la crise des Lumières, l'utopie du progrès s'est métamorphosée en utopisme techno-informationnel, tandis que la marche triomphale de l'histoire vers sa fin - son accomplissement - faisait place à un mouvement perpétuel, à un changement autotélique idéalisé comme tel. Avec le culte du mouvement pour le mouvement, surgit un nouveau mode de fatalisation du temps, disons le mouvementisme. L'effacement de l'avenir s'opère en même temps que les individus s'installent malgré eux dans un " présent perpétuel sans passé ni avenir " (Orwell), inscrit dans un destin planétaire pensé en termes de " contraintes inévitables " ou d'" évolutions irréversibles ".
Dans le " présentisme " qui est l'ethos du moment contemporain, on reconnaît bien sûr quelque chose du nihilisme : au " sans pourquoi " de l'agitation frénétique dans un monde chaotique, mais fatalisé en tant que tel, s'ajoute la certitude angoissante de ne pouvoir surmonter l'incertitude, de ne pouvoir imaginer le " ce vers quoi ", non pas ce que l'avenir sera (le prévisible), mais ce qu'il doit être (le souhaitable).
C'est toute la question de la responsabilité post-humaniste et de la temporalité post-progressiste - voire post-historique et post-démocratique -, qui est posée, et qui doit inquiéter la pensée : Sommes-nous condamnés à un démocratisme planétaire sans communautés démocratiques vivantes ? Sommes-nous voués à un futur sans avenir ? A une responsabilité sans espoir ? L'inespoir est-il le destin ? P.-A.
T.
Expose l'histoire conceptuelle et politique de l'idée de progrès, analyse les principales théorisations dont elle a fait l'objet et examine le néoprogressisme et l'antiprogressisme contemporains dans les discours des hommes politiques, des intellectuels et des journalistes en France.
La percée du Front national aux élections présidentielles de 2002 a placé au premier plan la question de l'irruption fracassante, dans nombre de pays européens depuis les années 1980, de partis anti-système au sein de l'espace politique traditionnel.
Ordinairement incarnés par des leaders télégéniques entrés par effraction dans un parc politique réservé, ces partis ont recours au geste d'appel au peuple. Ils articulent le rejet de la classe politique nationale avec celui de la nouvelle classe expertocratique transnationale. Au " ni droite ni gauche " s'ajoutent des formes variables, des mixtes plus ou moins contradictoires de libéralisme économique et de nationalisme ethnique, de libre-échangisme et de protectionnisme, de xénophobie anti-immigrés et de défense de l'Etat-providence, de rejet des élites et de peurs identitaires.
Ces partis oscillent entre l'archaïque et le médiatique, dans les programmes comme dans le discours et l'image publique de leurs leaders. Ils monopolisent l'expression des inquiétudes suscitées par les effets désintégrateurs de la mondialisation néo-libérale. L'extension planétaire des mobilisations dites " populistes " ou " nationales-populistes " est un signe à déchiffrer et invite à un effort de définition auquel se livre Pierre-André Taguieff dans cet essai d'analyse politique.