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eric sautou
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Livre en forme d'autoportrait, Le Souvenir est un assemblage mouvant comme la mémoire, où s'entretissent de longues anaphores à la fois limpides et sinueuses entre lesquelles sont essaimés de brefs cailloux de poèmes. Le tout formant un chemin à emprunter, un fil à suivre pour tirer à soi le passé, en tirer le voile sans rien chercher à masquer ni pourtant tout dévoiler. Autoportrait indécis, vivant, dont la parole semble délivrer le poids, celui du silence, celui du secret qui enveloppe souvent les livres d'Éric Sautou, et qui nous voit presque désarçonnés par tant de franchise, tant de rythme, tant d'accueil. « Ceux qui le regardent semblent le voir », il s'en étonne, et c'est vrai que nous le voyons soudain, ce garçon qui évolue dans un monde de neige, de nuit, de poissons calmes, de livres pour enfants, de branches rompues, de ce dieu à qui on parle et qui n'est pas là, de barques de plaisance, de cognassiers, d'une véranda, d'oiseaux qui ne chantent pour personne, de garçons à l'école, d'incompatibilité. Bien-sûr c'est une enfance inquiète, comme peuvent l'être les enfances, avec leur désir d'un rapport maternel exclusif, leurs identités indécidées, leurs mouvements de balancier. « J'étais garçon sans mon accord » nous dit Sautou, un « garçon manqué », à la fois « inapte » et « insulté », et l'on comprend l'enfance tourmentée, le rapport apeuré au monde, au mystère des autres et de soi-même. Le Souvenir est un livre de l'équivoque, de la réversibilité des choses, à commencer par le sentiment du bien, le sentiment du mal, un livre qui interroge jusqu'à quel point on se reste étranger, comme en témoigne ce titre récurrent, « lui ou moi ». Un livre pour se reconnaître, dégager ses traits, dans une clarté chassée par les ombres, jusqu'à atteindre une forme de légèreté, dans le poème et pourquoi pas en soi, en une suite de touches délicates, une myriade de légères fulgurances, pour s'approcher soi-même sans s'effrayer, sans se faire fuir. Au fil de ces listes, qui sont définitions et redéfinitions de soi-même, il s'invente. Que faire d'autre ? « Je me cache pour qu'on me trouve », et on le trouve, on se retrouve même soi, dans ce que l'on partage qui est toujours plus important qu'on ne le croit, jusque dans cette dernière liste après la fin du livre, qui vient compléter cet autoportrait vers les autres en égrenant comme à la lisière les noms des compagnons qui avec soi ont fait le voyage : les contes d'Andersen, la musique d'Arvo Pärt, les chansons de Françoise Hardy, les tableaux de Twombly, les vers de Verlaine, Joyce Carol Oates, Robert Walser et Virginia Woolf, et puisque « le rêve n'est pas que de nous-même », et que l'on ne se sent « jamais assez aimé », le Peter Pan de Barrie.
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Quand on croit que les enfants sont seuls, ils ne le sont jamais vraiment. Avec eux, tout devient matière à découverte et au jeu. Le recueil du poète Éric Sautou nous fait entrer dans l'univers rêveur d'un petit garçon, Paul. Il côtoie Gaspar, un oiseau qui ne vole pas, Kélia, l'ours de la maison, ou encore Clarisse la baleine. Mais il y a aussi la poésie des jours qui passent ainsi que des phrases prononcées par les adultes et qui résonnent aux oreilles des enfants. Et toujours Paul, qui a vu le ciel un soir et qui s'interroge face aux étoiles...
Sous la plume d'Éric Sautou, le moindre petit rien du quotidien est rendu à sa grâce poétique, comme à travers les yeux des enfants. Un premier éveil à la poésie facilité par la douceur tendre du trait naïf de l'illustratrice Kotimi. -
Les figures de Jeffrey Dahmer, Léon Spilliaert et Lazare forment tour à tour dans ce livre une étrange trinité de solitude. Dans Grand Saint-Vincent, Éric Sautou plonge son personnage, sa confession, son lecteur dans la forêt, dans la tourmente du mal, à bord d'une barque, dans la maison. « Ma vie est la plus seule » dit Dahmer, enfant tapi dans l'ombre des bois, à l'affût comme les animaux qu'il traque et tue, avec en lui la peur d'être trouvé - d'être sauvé ? Dans l'ombre il n'a plus peur, lui le chasseur traqué par le manque d'amour, par Dieu, par ce qu'il est. Cherchant l'écart car il est à l'écart, tiraillé, distendu des autres et de ce qui l'habite :
« mon corps est peuplé d'hommes étranges » dit-il. Hommes qui l'attirent et qu'il ne peut que tuer faute de pouvoir se tuer lui-même. Lentement, à force de glissades, de motifs répétés, tout en légères insistances, Éric Sautou enroule en une spirale de folie le portrait d'un enfant devenu homme qui perçoit qu'il faut mourir pour vivre, et qui déporte alors la mort sur les autres : qui abat humains et animaux. Pour ne pas souffrir, faire souffrir. Pour pouvoir respirer, étrangler. Toute sa solitude se déploie en silence, dans la chambre et sur les draps, plein de trop de désir impossible, il transforme le désir en mort au fond du lit. -
Prix de La Crypte 1987. Deuxième édition revue.
Avec une invitation à la lecture de Olivier Vossot. -
Dédié à la mémoire de la mère de l'auteur, La véranda est un livre d'évocations circulaires autour de la fixation de motifs répétés.
Ecrit dans un féminin que vient compléter en délicate filiation le masculin, c'est une mélopée sur un fil, qui tournoie sans jamais tomber, autour de choses simples : la pluie, les fleurs, le jardin, les feuilles qui tombent. Et comment tout bouge entre ces choses, comme on les reprend, les répète, les fait tourner en soi.
Valse lente d'une émotion faussement contenue entre parenthèses, qui explose de l'intérieur, dans la beauté de leur retenue, dans la reprise des jours disparus, des jours passés, des rêves un peu dissous. Assis là oui, le temps est passé, il n'y a presque rien à se dire. On brûle des herbes, ensemble assis là. Il se passe quoi ? Cela vous déchire sans avoir l'air d'y toucher. Le souvenir, on se parle encore un peu, les yeux fermés, « nous étions mère et fils ».
Et ces façons de s'éloigner, parce que tout s'efface, tout tombe, les voix s'effilochent. On ne sait pas ce qui reste, un peu d'étreinte du vide. Quelques jours malheureux, on commence à oublier les visages. On ne sait plus qui parle. On se répète du bout des lèvres quelques souvenirs. Des souvenirs seuls, quand on se retrouve seul, deux simples chaises vides là sur la véranda avec « plus personne où aller ».
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Les 34 poèmes des Aresquiers nous parviennent comme une lettre effilochée dans le vent. Un murmure fragmentaire, roulé dans le ressac ; les derniers mots adressés à la mère défunte et tout ce qui s'efface, sauf la mémoire. Tout ce qui s'accepte aussi, malgré l'espace vide de la perte, face au soir, aux vagues lancinantes :
« tu ne reviendras pas ». La maison, le jardin, le ponton, la mer, le phare, quelques éclats suspendus et indéfinis dans le soir, on n'en saura pas plus, le lieu préserve non pas son secret mais son intimité. Que reste-t-il ? Ce qu'on lit, ces infimes décalages, ces répétitions, ces approches délicates, douces et prudentes, comme pour ne rien froisser, ne rien abîmer de soi ou du souvenir. Ne rien dissiper, ne pas faire fuir les fantômes. Eric Sautou adresse aux absents une mélopée fragmentée, à bas bruit, seule recouverte par les ombres, qui visse lentement le coeur. On touche là à « l'autre lieu de la mer », où il serait possible de se rejoindre, faire la jonction entre les vivants et les morts. Ces poèmes semblent écrits dans un espace en retrait du monde, entre rêve et réalité, dans une veille, une semi-hypnose, dans une absence face à l'absence. Comme si en s'effaçant on pouvait retrouver les disparus, et, puisant la mort engloutie dans la mer, tendant la main vers son rivage inaccessible, on parvenait à transformer la douleur en tendresse. Aux Aresquiers referme le cycle entamé en 2016 avec Une infinie précaution, autour du deuil et de la figure maternelle, et conduit jusqu'au silence la bouleversante sensation déjà présente dans La Véranda (Unes, 2018), que, d'un poème à l'autre - ces « choses de l'air » - ce sont bien les vivants qui hantent les morts.
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Quelque chosede ton souvenirn'est déjà plus le mêmeentendrema voix tu ne l'entendras plus que ne l'as-tuécriteet quand je pense à toi il n'y a plus que des motsperduenoyée dans le seul mot qui resteBeaupré
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mes pieds/font des traces de pieds/dans le sable humide/la mer est plate/sous tout le ciel/j'entends le coeur/la capture du feu c'est l'indien à cheval/j'ai dans la main/un oursin.
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Un deuil une fois encore a eu lieu : il paraît ici ineffaçable. Mais ce qui frappe dans ce nouveau recueil, c'est l'extraordinaire retenue avec laquelle Éric Sautou affronte cette épreuve, à travers l'écriture. Jamais peut-être sa poésie, resserrée par nature, n'aura su transmettre l'émotion qui la fonde avec une telle ascèse - notamment dans la séquence d'ouverture (simplement intitulée 26 poèmes) et dans les strophes brèves de La vie éternelle. Ou à la fin de l'ouvrage, dans la section qui lui donne son titre et esquisse un récit moins fragmentaire. Le poème excède ici de très loin la simple confession : entre pénombre et lumière, il donne accès par une brèche étroite à la part la plus secrète ou la mieux cachée du réel.
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Le nouveau livre d'Eric Sautou se présente presque comme un cahier de vacances aux vignettes lointaines, estompées par le temps.
Une première section (les souvenirs) égrène une liste d'images et d'objets usuels, dressant un catalogue aléatoire des choses communes chères à Pérec: de la toupie au badminton en passant par les bataillons d'orage (les aléas du ciel rythment l'ensemble de ces pages). Le corps de l'ouvrage (simplement titré: les poèmes) revient à la manière désormais familière de l'auteur, déroulant un récit morcelé, entrecoupé d'incises et de vides (n'est-ce pas le sens caché de ces vacances?): ces strophes s'adressent à un être qui n'est jamais nommé (la lettre finale le confirme) mais qui focalise la mélancolie du souvenir, entre blessure et lumière.
Ce qui frappe avant tout, c'est ce souffle toujours retenu, cette manière de dépeindre l'éloignement du monde sans jamais hausser le ton, à travers une description minimale, presque atone parfois, qui oscille entre intérieur et extérieur pour mieux dire ce tourment secret:
"poèmes choses brèves c'est ici que je reste".
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Quand on a tout secoué, il reste quelques mots.
S'ils restent, c'est qu'ils sont assez grands pour qu'on y habite. Ils ne bougent pas pour former une histoire puisque d'est l'histoire qui les a fait tomber. Alors on pose au-dessus du trou noir du monde - sur le blanc de la page - des mots encore entiers, touchés le moins possibles par la syntaxe, entamés le moins possible par les adjectifs. D'alterner ouvrir et fermer les yeux, la poésie d'Eric Sautou est cet art très nu de l'apparition comme un cinéma muet où la moindre poussière nous revient magique : promener la flamme, on agite les nappes, je touche le papier froid, le poisson brille, voici quelques avancées pour éclairer l'absence par le désir.
C'est cette affirmation que j'entends toujours, et qui rend inutile toute ponctuation. Qui se meut par la seule vitesse de l'attente, dans un double mouvement de rencontre et de séparation. Ainsi les vers - c'est pourquoi souvent ils vont par deux - sont frottés l'un contre l'autre (On voit les braises/des pierres sont réelles), une chaleur fragile nous est donnée pour être, chacun dans la solitude mais aussi dans le monde, moins loin.
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dans le prolongement de la tamarissière, le nouveau livre d'eric sautou déroule une série de vignettes, de paysages arrêtés dans des décors qui ont la netteté vacillante des rêves.
un homme ou un enfant arpente ces contrées et se parle à lui-même, comme à l'instant oú l'on sombre dans le sommeil, énumérant les objets qui l'entourent et se dérobent à ses gestes, les rues vidées de leurs ombres humaines, les lettres" du mot de poésie qui ne tient de personne". méditation somnambulique dont la mélancolie va bien au-delà de la simple tristesse, la poésie d'éric sautou paraît à la fois accablée de lumière et soucieuse d'une nuit originelle.
figure emblématique de l'ouvrage, frédéric renaissan traverse cet univers désenchanté et " trace au doigt dans la cendre " des poèmes limpides, précis et inquiets, blessés et tranchants.
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c'est ici dans la chambre le soir je regarde à la neige à la chambre à la maison d'en face qui change d'un mur sombres ruelles d'ici de presque rien c'est une fleur laissée rien qu'une chaise à voir c'est un bassin de pierre sur la place mon père rajuste ses lunettes et frappe en bois de canne à marcher au chemin ce n'est pas dans le rêve je retrouve à ma chambre c'est ainsi sous la neige la musique là-bas je sais que je m'endors