Ancien documentaliste, le narrateur passe son temps à découper des articles de presse qu'il archive dans sa cave - tous soigneusement rangés dans des dossiers. L'un d'entre eux est dédié à Franziska, alias Fabienne, une ex-chanteuse de variétés à succès. Il ne pèse pas moins de deux kilos, un poids à la mesure de l'amour que le narrateur lui porte depuis l'enfance. Ils se sont connus sur les bancs de l'école et ont même été de proches amis. Le temps passant, ils se sont perdus de vue. Mais un jour, le narrateur décide de reprendre contact avec elle et, après s'être procuré son adresse mail, lui envoie un message.
Avec humour et tendresse, la voix du narrateur se déploie ici pour déjouer les codes du roman sentimental, et nous conter une histoire d'amour singulière. Est-il possible de conserver intacts les sentiments pour l'être aimé, de les mettre à l'abri du temps comme on classe un dossier ? La réponse à ces questions ne manque ni de charme ni de poésie.
La dizaine de récits et nouvelles que comprend ce recueil sont des textes de jeunesse, écrits de 1895 à 1898, alors que Rilke n'avait que 20 ans. Il n'a encore publié qu'un seul recueil de poèmes ("Vie et chansons" en 1894), mais c'est une période cruciale, car c'est celle de sa rencontre avec Lou Andreas-Salomé. C'est aussi le moment où il quitte Prague pour se lancer dans de nombreux voyages à travers l'Europe. On trouve dans ces nouvelles une relation intime, presque panthéiste à la nature, une évocation de l'amour qui, au-delà de la rencontre entre deux êtres, touche déjà à l'universel.
Irene Wagner mène une vie de grande bourgeoise dans la Vienne de la double monarchie, celle de Schnitzler, Freud, Kraus et Hofmannsthal. Entre les bals, les théâtres et les soirées mondaines, cette épouse de grand magistrat est autant à l'abri des soucis que des émotions, lorsqu'un jour elle cède, moins par vrai désir que par nostalgie romantique, aux avances d'un jeune pianiste. Cet amant est d'ailleurs vite intégré dans l'ordre de sa vie, comme une nouvelle automobile, jusqu'à ce que son secret soit découvert par une autre femme qui la poursuit et la soumet au chantage. Entre l'angoisse de tout perdre et l'impossibilité de tout dire, la peur s'installe, vertigineuse.
C'est la fin de l'été dans une petite bourgade suisse. Une famille heureuse rentre de vacances en Espagne. Astrid, Thomas et leurs deux enfants s'apprêtent à reprendre le cours d'une existence paisible. Rien ne laisse présager le départ de Thomas dans la nuit.
Commence alors pour lui une longue errance dans les montagnes, vers une autre vie. Les heures, les jours passent.
La police est avertie et commence, malgré le peu d'éléments dont elle dispose, son enquête. Si les enfants ne paraissent pas prendre la mesure des événements, la disparition de Thomas plonge Astrid dans un profond désarroi qui prend la forme d'un déni, d'un espoir insensé. Elle attend que son mari rentre car, elle en est persuadée, il reviendra.
C'est une histoire de passion et de transgression, un chemin vers la révélation par-delà toute confusion. Un récit flamboyant et audacieux qui met à nu la complexité des désirs et que Freud a qualifié de chef-d'oeuvre. Edition bilingue
Berlin, 2011. Soixante-six ans après sa disparition, Hitler se réveille dans un terrain vague de Berlin. Et il n'est pas content : comment, plus personne ne fait le salut nazi ? L'Allemagne ne rayonne plus sur l'Europe ? Depuis quand tous ces Turcs ont-ils pignon sur rue ? Et, surtout, c'est une FEMME qui dirige le pays ? Il est temps d'agir. Le Führer est de retour et va remettre le pays dans le droit chemin.
Et pour cela, il lui faut une tribune. Ca tombe bien, une équipe de télé, par l'odeur du bon client alléchée, est toute prête à lui en fournir une. La machine médiatique s'emballe, et bientôt le pays ne parle plus que de ça. Pensez-vous, cet homme ne dit pas que des âneries ! En voilà un au moins qui ne mâche pas ses mots. Et ça fait du bien, en ces temps de crise... Hitler est ravi, qui n'en demandait pas tant.
Il le sent, le pays est prêt. Reste à porter l'estocade qui lui permettra d'achever enfin ce qu'il avait commencé...
Ces maximes sont l'oeuvre d'une vie. Elles procèdent d'un même sens. C'est la tentative de réunir les contraires et d'établir une harmonie entre la pensée et l'action. Dans ce jeu entre le statique et le dynamique, dans ces perpétuels renvois et ces apparentes contradictions se situe la sagesse de ce livre : « Trouver son rapport à soi-même, aux autres et aux choses. » À l'inverse des choses, l'homme n'a pas de place prédéterminée dans le monde qu'il n'appréhende jamais de façon immédiate. L'effort d'une vie est de l'affirmer : s'intégrer dans l'ordre toujours juste des choses en restant homme.
Centrés sur la France, voici quatorze textes écrits entre 1925, année où Roth est envoyé comme reporter à Paris par le prestigieux «Frankfurter Zeitung», et 1939, l'année de sa mort. Quatorze instantanés, comme des photographies, des scènes saisies sur le vif, principalement dans les milieux populaires, où l'on voit tout l'art de Roth : celle de l'observation réflexive.
Ecrite en 1926, alors que Klaus Mann, fils aîné de Thomas Mann, avait à peine vingt ans, c'est le deuxième ouvrage de cet auteur. Dans cette nouvelle au titre innocent, Klaus Mann montre donc déjà un véritable engagement pour les marginaux et les réprouvés - un engagement qui, peu à peu, va mener Klaus Mann vers un combat plus public, vers une ouverture à la cité et aux problèmes qui, dans cette République de Weimar à l'agonie, deviennent de plus en plus oppressants. En même temps, Klaus Mann efface symboliquement la figure du père, ce Thomas Mann honoré et vénéré, modèle, juge et rival, qui n'a jamais vraiment compris son fils, lequel, du moins dans sa jeunesse et avant que leurs relations s'apaisent, a profondément souffert de ce manque d'amour.
Depuis son enfance, Alexia aime à voler des fruits dans les jardins, les vergers, les parcs. Au fil des années, cette activité est devenue son identité, sa manière de vivre presque vagabonde dans un monde où elle essaye de trouver peu à peu sa place. Sur les traces de sa mère disparue, elle poursuit ses détours au coeur des terres de Picardie dans un voyage aventureux au cours duquel, comme le dit l'un de ceux qu'elle rencontre, elle apprend sur elle-même:«Tu reviens d'un combat, tu reviens de la guerre, une double:l'une dans laquelle tu t'es bien battue, et une autre où personne ne peut donner des coups:la guerre avec toi-même. Pour l'heure, à celle-ci aussi, tu as survécu, et les deux guerres t'ont fait t'épanouir.»Attentif aux lieux, aux trésors cachés de la nature, au quotidien encore peu exploré d'une région, aux turpitudes et aux joies qu'une jeune femme de notre époque peut traverser, Peter Handke exprime dans La voleuse de fruits une vision personnelle et acérée de notre société, doublée d'un hommage à la famille, dans une histoire aussi vaste qu'introspective.
Partant de la femme, de la différence entre l'homme et la femme, ce recueil se conclut par un retour sur l'enfance. Entre les deux il y a toute la panoplie du monde : la morale, l'érotisme, le christianisme, la presse, le théâtre, la politique, la bêtise, etc. La succession des thèmes y est autant désinvolte que réfléchie. Il ne s'agit pas en effet d'un recueil disparate, une simple succession de bons mots mais d'un véritable traité : à la fois système du monde et sa déconstruction.
Kraus révèle ici en raccourci tout le chatoiement de sa pensée : il est irritant et enthousiasmant, réactionnaire et progressiste, injuste et pertinent. Impertinent toujours !
Contrairement à ce que laisserait penser son titre, qui induit une pensée ramassée en quelques mots, on trouve dans Aphorismes des réflexions qui font parfois plus d'une page, comme si Kraus se moquait lui-même du cadre qu'il se donnait : " Un aphorisme n'a pas besoin d'être vrai, mais il doit dépasser la vérité. " Ou encore : " L'aphorisme ne recouvre jamais la vérité ; il est soit une demi-vérité, soit une vérité et demie. " On sent là une pensée en gestion, résolue à ne pas se fixer sur une vérité unique mais cherchant l'équilibre du monde dans l'oscillation perpétuelle des choses.
Le prince de Hombourg remporte la victoire à la tête de son armée, mais en désobéissant aux ordres du Souverain. Emprisonné, il doit passer en jugement. Sa fiancée tente de le sauver. Le souverain lui laisse le choix, qu'il dise lui-même si sa condamnation était injuste. Le prince est sauvé de ce dilemme par une nouvelle invasion et un nouvel appel aux armes.
Dans Lettre d'une inconnue, un écrivain viennois reçoit une lettre d'une femme qui l'a aimé passionnément depuis son adolescence et qui, sur son lit de mort, désire lui raconter cet amour qui l'a consumée, mais qu'elle n'a jamais cherché à renier et pour lequel elle n'a aucun regret.
« Mon enfant est mort hier ». Avec cette fameuse phrase, leitmotiv obsédant, on reconnaît tout de suite une des nouvelles les plus célèbres et les plus intenses de Stefan Zweig, publiée pour la première fois en 1922. Car, si les circonstances sont dramatiques, le récit est celui d'une des plus grandes passions obsessionnelles de la littérature contemporaine. Avec humanisme, Zweig dépeint les souffrances d'une jeune femme qui aime d'un amour absolu un jeune homme insouciant et badin. Il ne l'a jamais remarquée lorsqu'ils étaient voisins ; il ne la reconnaîtra jamais lors de leurs rares rencontres et nuits passées ensemble au fil des années. N'est-ce pas là le pire affront fait à une femme amoureuse?
Quant à ses trois nouvelles de jeunesse, « Rêves oubliés », « Deux solitudes », « Jeunesse gâchée », elles contiennent déjà les thèmes fondateurs de ses récits : la rencontre, la désillusion, le rêve et le suicide.
Oeuvre unique publiée du vivant de l'auteur, Walter Rheiner, «Cocaïne» (1918) retrace l'errance à travers Berlin d'un homme en proie aux affres du manque de drogue. Les images de la nuit dans la grande ville alternent avec des hallucinations d'une formidable puissance évocatoire. Peu de gens connaissent pourtant cet auteur expressionniste talentueux qui plongea dans la drogue pour éviter de participer à la guerre de 14-18, qui fut quand même envoyé sur le front russe et qui mit fin à ses jours en 1925 d'une overdose de morphine. Précédée du poème « La mort des pauvres » de Baudelaire.
Dans le dernier volet du polyptyque qu'il consacre à l'exploration littéraire de notre quotidien (après Essai sur le Lieu Tranquille, Essai sur la journée réussie, Essai sur le juke-box et Essai sur la fatigue), le grand écrivain autrichien narre la vie d'un ami «fou de champignons» et transforme le coeur des forêts en lieu d'enchantement.
Peter Handke atteint un degré de sensibilité et de précision, une attention au détail qui n'ont que peu d'équivalents dans le paysage littéraire contemporain. Assis à sa table, muni d'un crayon, il mue ses pérégrinations à la périphérie de nos existences urbaines en campagnes d'observation et poursuit rigoureusement le mot juste.
À la recherche du miracle dans le profane, de ces moments d'exaltation intense où les choses simples se révèlent étincelantes, Peter Handke fait émerger l'utopie du plus ténu.
Un homme - appelons-le le narrateur - donne rendez-vous à une femme prénommée Lena dans le grand cimetière de Stockholm. Cette femme est une inconnue (nous apprendrons plus tard qu'elle est comédienne et a joué Mademoiselle Julie au théâtre), mais elle rappelle intensément au narrateur la jeune femme dont il a été très amoureux il y a une vingtaine d'années. Cette dernière s'appelait Magdalena, était aussi comédienne et elle aussi avait joué Strindberg. Après leur rupture, le narrateur a écrit un livre sur les trois années qu'ils ont vécu ensemble et il veut en donner les détails à l'inconnue de Stockholm.
Lena accepte de l'écouter, mais se moque des similitudes qui lui semblent forcées entre sa vie et celle de Magdalena, invoquant à chaque détail troublant une coïncidence et ne cessant de répéter qu'elle ne peut être Magdalena puisqu'elle a vingt ans de moins.
Ce récit de Peter Stamm, ciselé en 37 petits chapitres et dont le titre rappelle « la tendre indifférence du monde » évoquée par Camus à la fin de L'Étranger, est d'une vertigineuse intelligence. Tout en conservant sa part épique qui n'en fait pas un livre sec, cette réflexion sur les confusions de la vie, les obsessions de l'existence, la portée de la littérature, la différence entre le vécu et le récit qui en est fait, frôle sans cesse les abîmes sans jamais tomber dans la confusion, encadré qu'il est par deux chapitres qui mettent encore ce kaléidoscope en perspective. Poursuivant la recherche sur la vérité et l'imaginaire et le jeu avec la réalité initiée dans L'un l'autre, Peter Stamm nous donne un livre diablement virtuose.
Il est aussi rare de trouver des inédits de grands écrivains disparus que des textes de grands auteurs étrangers qui ne soient pas encore traduits. Ces deux éléments sont exceptionnellement réunis dans ce volume qui rassemble un roman inachevé de Joseph Roth, exhumé en 1978, soit près de quarante ans après sa mort, et huit nouvelles qui n'ont encore jamais paru en français. C'est dire l'importance de cet ensemble, qui vient enrichir l'oeuvre de l'un des romanciers majeurs du XXe siècle.
Perlefter, histoire d'un bourgeois est le portrait éblouissant d'un conformiste. Homme tiède, hypocrite, incapable d'aimer ou de haïr, égoïste, pingre et pétri de peurs, cet affairiste se montre prêt à toutes les compromissions dès lors qu'elles servent ses intérêts. Il sait s'adapter à tous les régimes, la monarchie comme la république, mais redoute la révolution et toute forme de désordre susceptible de nuire à sa réussite. Perlefter est le prototype de ces opportunistes qui, le moment venu, soutiendront sans scrupules Hitler et son régime.
Roman politique et social, Perlefter, histoire d'un bourgeois offre une fascinante étude de caractères, comme chacune des nouvelles ici magnifiquement restituées par Pierre Deshusses. On y retrouve l'une des caractéristiques de Joseph Roth : la nostalgie d'un monde perdu, avec cette tension constante entre le passé et le présent. Mais si l'auteur de La Marche de Radetzky refuse l'exaltation du progrès et de la modernité, il n'idéalise pas pour autant cet univers disparu et fait preuve à son égard d'une grande lucidité critique, y décelant des germes de violence et de brutalité annonciateurs du pire.
La force de ces récits tient aussi à l'écriture de Roth : ce style si particulier et si bien rythmé où alternent évocations sensorielles et pointes philosophiques, satire et paradoxes.
En dépit de son titre, ce roman écrit en 1936 à Paris, trois ans avant la mort de l'auteur, n'est pas à proprement parler un roman policier ; c'est une captivante parabole sur le pouvoir du mal, le désir d'amour et d'ascension sociale, la haine et la trahison mais aussi une fable sur la recherche d'identité entre un monde ancien qui s'effondre et un monde nouveau qui naît dans la douleur. Le narrateur, qui fréquente le café russe Tari-Bari situé juste en face de son hôtel parisien remarque parmi les habitués une figure à la fois souveraine et taciturne, effrayante et affable : Semjon Golubtschik.
"On se sentait à l'aise avec lui. Par la richesse de ses pensées exprimées généralement sur un ton badin, il était, pour employer un mot bien terne, l'un des hommes les plus captivants que j'ai connus, malgré sa modestie et son calme." (Max Brod) Ces lettres dépourvues de pose, de vanité et de stéréotypes - jusque dans les plus brefs billets - nous livrent non seulement une image inédite de la personnalité de Kafka mais nous permettent aussi d'appréhender avec un regard nouveau son oeuvre débarrassée des commentaires qui se résument trop souvent dans l'adjectif "kafkaïen".
En réalité, personne n'est moins kafkaïen que Kafka, homme indulgent et moqueur, radical, généreux et avide de vivre.
Hugo von Hofmannsthal (1874-1929) est un Rimbaud qui recommence - ou continue - à écrire après avoir constaté la faillite de la parole.
La lettre de lord Chandos est un manifeste de la dissolution de la parole et du naufrage du moi dans le flux désordonné et indistinct des choses que le langage ne peut plus nommer ni dominer. Le protagoniste abandonne sa vocation et sa profession d'écrivain parce qu'aucun mot ne lui semble exprimer la réalité objective ; le flux secret de la vie le saisit et le pénètre au point qu'il se perd complètement dans les objets, qu'il se dissout dans une révélation du tout qui détruit l'unité de la personne dans un tremblotant chatoiement d'émotions et de réactions.
Claudio Magris.
Ces huit Cahiers écrits entre novembre 1916 et mai 1918. (Kafka meurt en 1924) sont contemporains de la crise intense que traverse Kafka et qui sera déterminante pour ses choix d'homme et d'écrivain. C'est le creuset où s'élaborent ses oeuvres à venir, sorte de work in progress où se tisse entre tous ces textes et ces fragments le lien organique qui engendre une filiation. Les cahiers mettent en place des modalités narratives nouvelles qui vont faire la spécificité de Kafka :
Impersonnalité, absence du narrateur, fragmentation de l'action en séquences brèves, logique onirique qui transforme l'absurde en nécessité... Entre méditation et création, hésitations et fulgurances, ces cahiers sont les brouillons de la vie, versant abrupt d'un journal interrompu.
Ces trois textes brefs de Rainer Maria Rilke sont réunis par une même tension qui va de l'étrangeté au paradoxe jusqu'à l'expérience de la perte : perte de l'enfance, fin d'une relation étrange avec un animal étrange - le chat -, comme est étrange la figure paradoxale de la poupée, comme est paradoxale cette nouvelle école en Suède où les enfants apprennent la " vraie vie " plutôt que les conventions et les vieilles lois.
Cette tension omniprésente est aussi celle qui oppose la vie à l'artifice, la liberté aux conventions, la créativité et la reproduction, le monde adulte et cette " part d'enfance " tant vantée chez Bernanos quand elle ne disparaît pas chez " la grande personne ". Cette tension se retrouve enfin dans l'essai de Baudelaire intitulé La morale du joujou (1853), reproduit en annexe.
La responsabilité. Je vous rapporte la responsabilité. Vous avez donc tout oublié, mon Colonel ? Le 14 février ? Près de Gorodok ? Il faisait moins 42. Vous êtes arrivé, mon Colonel, et vous avez dit : Sous-officier Beckmann, je vous donne la responsabilité de vingt hommes. Vous allez inspecter la forêt à l'est de Gorodok et vous me ramenez quelques prisonniers, c'est bien compris ? Oui mon Colonel, je vous ai dit. Alors nous sommes partis en reconnaissance - et moi j'avais la responsabilité. Et la reconnaissance a duré toute la nuit, et puis il y a eu des coups de feu, et lorsque nous sommes revenus, il y avait onze hommes manquants. Et c'est moi qui avais la responsabilité. Mais maintenant la guerre est finie, maintenant je veux dormir, maintenant je vous redonne la responsabilité, mon Colonel, je ne la veux plus, je vous la redonne mon Colonel. - Mais mon cher Beckmann, vous vous énervez pour rien. Ce n'est pas ainsi qu'il fallait le comprendre. - Si, si mon Colonel. C'est ainsi qu'il faut le comprendre.
Beckmann, déguisé de force en soldat, a été jeté sur le front de l'Est, fait prisonnier à Stalingrad et interné en Sibérie. Il rentre à présent chez lui, à Hambourg. Mais son foyer n'existe plus. Dans cette Allemagne vaincue dans une guerre qui n'était en rien celle du peuple, les colonels s'en tirent bien tandis que les Beckmann, silhouettes fantomatiques, hantent les rues de leurs villes en ruines.
Écrit en une semaine à l'automne 1946, Dehors devant la porte fait de son auteur le premier écrivain célèbre de l'après-guerre allemande. Avec Heinrich Böll, il devient également l'un des représentants majeurs de la « littérature des ruines », qui raconte cette Allemagne déchirée par douze ans de pouvoir nazi et dévastée par la guerre. Classique de la littérature de langue allemande, l'oeuvre de Borchert reste pourtant assez peu connue en France. Cette réédition de son texte majeur comble en partie cette lacune.