Après la Révolution d'Octobre en Russie, la défaite de l'Allemagne en 1918 et
la crise économique de 1929, la face du monde se trouva changée. La propagande
chauvine et les poussées belliqueuses font craindre des flambées de violence.
Deux blocs semblent émerger en Europe : d'un côté l'Allemagne qui cède aux
sirènes hitlériennes et de l'autre l'URSS, qui ne cache pas ses visées
expansionnistes. Les observateurs de France et des pays alliés dans la guerre
de 14 redoutent une alliance germano-soviétique qui mettra le Vieux Continent
devant le danger du totalitarisme. Des voix s'élèvent dans l'Hexagone pour
cerner avec le plus d'objectivité possible ce péril grandissant. La Revue des
Deux Mondes publie dans ces années 1930 des textes qui offrent un panorama
saisissant de la situation de l'Allemagne au cours de l'entre-deux-guerres. Ce
sont de fines analyses politiques, des dissections pleines d'acuité des
doctrines extrémistes qui fleurissent à Berlin, des diagnostics justes des
dérives vers un nationalisme étroit, guerrier, antisémite, de substantielles
études du succès populaire de Hitler, le « prometteur de miracles » déterminé à
purifier l'Allemagne d'un fléau : le marxisme, des commentaires élaborés sur la
résurgence du militarisme, sur le glissement des catholiques de droite vers
l'hitlérisme, sur la nouvelle propagande allemande : révision du traité de
Versailles, réarmement, dénonciation du mensonge de la culpabilité allemande
dans la Première Guerre mondiale. Ces analyses sont accompagnées de mises en
garde contre deux menaces : le bolchévisme et le pangermanisme. En regard de
ces textes, on trouve des témoignages sur la Russie soviétique où, là aussi,
tout est sacrifié à la propagande, mais d'une autre nature qu'en Allemagne, où
sévit la délation, où la Tchéka récompense les indics, où nombreux sont ceux
qui, accusés d'être des contre-révolutionnaires, subissent de torturants
interrogatoires et croupissent dans des prisons ou des camps, où les enfants
sont abandonnés, où la ruine économique se double d'une « dissolution morale ».
Fondée en 1829 par François Buloz, la Revue des Deux Mondes est aujourd'hui la
plus ancienne revue en Europe. Au croisement de l'histoire, de la littérature
et de la politique, elle souhaite, dès l'origine, incarner l'humanisme hérité
des Lumières, cela dans un souci de connaissance, de curiosité pour les
sociétés extra-européennes, qu'il s'agisse de l'Amérique, de la Russie ou des
mondes africains, asiatiques. La Revue des Deux Mondes a été, au XIXe siècle,
un rendez-vous littéraire majeur. Tous les grands écrivains y ont apporté leur
collaboration, de George Sand à Chateaubriand, de Sainte-Beuve à Dumas, Musset,
Renan, Gautier et tant d'autres. Au XXe siècle, le paysage littéraire change,
le centre de gravité de la Revue se déplace plus vers la politique et
l'histoire. Aujourd'hui, la Revue poursuit sa trajectoire. Foncièrement
généraliste, s'intéressant à tous les domaines de l'activité humaine, elle
demeure fidèle à ses origines littéraires, philosophiques : la liberté
d'esprit, l'indépendance intellectuelle, le goût pour l'exercice critique, le
primat de la lucidité sur toute autre forme d'approche du réel. Tableaux d'une
dégénérescence qui devait mener à la Seconde Guerre mondiale, ces articles,
d'un grand intérêt, sont l'oeuvre d'analystes ou de témoins sans complaisance
qui nous aident à comprendre une page d'histoire chaotique. Ils sont
aujourd'hui rassemblés en recueil dans la collection Titres à l'occasion du
centième anniversaire de la Revue des deux mondes. PAGE 1