« Et voilà, en plus, des souris et de gros rats courant de tous les côtés. Je les entends sous ma tête mordiller la paille, les musettes et faire remuer les gamelles. À chaque instant, il me faut donner des coups sur ma toile de tente que j'ai étendue sous moi et que je ramène sur ma figure car il en passe des quantités. » Avec la Grande Guerre dont le qualificatif n'est justifié que par la durée du conflit et l'ampleur du massacre collectif, les anonymes entrent dans l'Histoire, mêlant leur expérience pétrie de boue et de sang à l'anti-épopée du monde moderne, à l'aube du siècle nouveau. Parmi les oeuvres de fiction souvent marquées par les souvenirs personnels d'écrivains célèbres (Barbusse, Céline, Giono, Genevoix, Dorgelès, Proust...) surgissent des textes d'inconnus, à la frontière du littéraire et du vécu, fragments de vies brisées et témoignages des survivants ou des disparus dont il ne reste que des lettres, des journaux, des mémoires. Ces deux carnets de guerre retrouvés dans une malle font partie de ce patrimoine de l'ombre. Plus que des souvenirs exhumés c'est une résurrection intégrale du passé, n'évoquant pas la gloire des Anciens mais la vie quotidienne humble et prosaïque de tous ces hommes de bonne volonté embarqués dans une aventure qui les dépasse. Au jour le jour, nous les suivons dans leurs pérégrinations, de village en village sur une carte qui n'a rien de tendre et qui indique les étapes d'un long calvaire collectif au seuil de la barbarie moderne. Auguste et Robert sont les témoins et les héros d'un autre temps qui n'est déjà plus le nôtre.