« Dure réalité (cela sonne comme un pléonasme !), dure leçon des choses, la guerre se produit comme l'expérience pure de l'être pur, à l'instant même de sa fulgurance où brûlent les draperies de l'illusion. » (E. Lévinas, Totalité et infini, préface) Dans sa « noire clarté », la guerre perturbe les constructions factices et les édifices sociaux ;
Elle ramène l'homme à une certaine nudité. À l'opposé de l'État, qui prétend donner forme à la multiplicité et contribuer à la constitution d'un monde habitable, le conflit guerrier déstabilise.
Mais la guerre ne touche pas le monde seulement, elle affecte ceux qui la livrent et ceux qui la subissent, en les insérant par-delà leur volonté et leurs décisions réfléchies, dans des ensembles - camps, nations, patries, alliances... La guerre, détruisant tout, produit cependant une forme nouvelle de totalité. Bien qu'elle se donne les apparences du mouvement et, fallacieusement, de la vie (chez les Présocratiques comme chez Hegel), elle accomplit en vérité l'inverse. À la stabilité fictive des institutions elle substitue un ordre informe, au sein duquel chacun est réduit à une force, à un danger et où les relations entre hommes deviennent stratégie et violence.
Ce sont les facettes de cette « dure réalité » - rapports de force, destruction des cadres de l'existence coutumière, redistribution de l'équilibre précaire des sociétés et des États, stratégie, mobilisation de toute parole au profit d'une cause -, que nous avons choisi d'interroger.